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Tableaux en attente d'écrits UERA

jeudi 19 décembre 2013

Un ptit coin de vie

Meublés ou garnis.

Villeurbanne n’échappait pas à la règle des contraintes urbanistiques de la fin des années « soixante » où malgré des chantiers à foison, on manquait cruellement de logements. 
Qui n’a pas rendu des visites dominicales à un oncle, un cousin, un parent proche forcé de trouver son gîte en un de ces petits « hôtels-meublés » qui faisaient alors leurs affaires plus sur la durée du séjour que sur la cherté de la piaule. Évoquant ces lieux singuliers avec Frédéric Dard, il y a quelques vingt ans, il s’amusa à reprendre une description, alors esquissée, dans un de ses San Antonio… 
« Le genre de crèche modeste mais qui inspire confiance. Le lieu est un peu hybride. On l’a conçu pour les pensionnaires mais il est bondé d’autochtones. On y trouve du plombier à marmotte de fer, du boucher à tablier retroussé, du retraité à marottes, plus quelques spécimens d’artisans dont le parler sent la ville toute proche, et les chaussures la campagne imminente. Et le taulier ? Un patron de bistrot dans son bistrot, c’est comme un commandant de barlu sur sa dunette : impossible de le confondre avec un prédicateur dominicain ou un chef d’orchestre tzigane. »
L’enfant ne s’y trompait pas… comme l’écrivain resté à jamais un gosse. Il y avait de la magie et de la féérie en ces « garnis » (parfois il y avait « l'amour qui passe » en prime) d’un gîte provisoire souvent confins au définitif. En 1963, on en comptait 76 sur l’annuaire des postes rien qu’à Villeurbanne.

Par Jacques Bruyas.
Chronique villeurbannaise, écrite pour Le progrès en 2010.

jeudi 12 décembre 2013

Arles - Instantanés


Arles, mardi 17 mai 2011
(quelques instantanés) 

Shoko vient de retenir un petit appartement de deux pièces avec accès à la terrasse sur le toit, au troisième étage d’un immeuble qui donne sur la place du forum, le cœur de la ville, si l’on peut parler de ville. Arles est un bourg.

Pendant que Shoko va signer le bail, Erell arpente les vieux quartiers à pic qui mènent aux Arènes. Elle lit : Rue du refuge, rue du four qui passe, rue de la grotte… Un homme marche avec des cannes-béquilles, il sort du passage des Ursulines et traverse une cour qui n’a pas changé depuis Van Gogh.

« J’ai fait mon tour, lance-t-il à une dame âgée qui se risque hors de chez elle. La chaleur en cette fin d’après-midi de mai reste caniculaire.
— Vous êtes bien courageux, lui répond la petite dame qui porte des charentaises, un tablier chamarré et de grosses boucles d’oreilles en or.
— Approchez-vous, dit l’homme, je vais vous dire franchement la vérité. Je vous ai connue “ avant ”. Vous étiez une dame charmante ».

Des pigeons volent dans la ruelle ombragée, deux marcheurs nordiques, munis de gourdes d’eau, avancent en jouant des coudes. Un chat gris, botté de blanc à la démarche chaloupée, traverse délicatement la rue Trissemoutte. Il entre dans une belle maison de ville agrémentée de vigne grimpante.
En descendant en direction de la place Voltaire, elle remarque une ardoise qui annonce : 2, 50 € la bouteille d’eau fraîche au bar de l’Amphithéâtre. Suit une kyrielle de commerces aux noms exotiques : Blue Note, Pizza-Burger, Le Pitchounet. Un Africain a dressé son stand de lunettes, colliers, bretelles et autres objets utiles, sur le trottoir. Il porte un pull à col roulé jaune, une chemise d’hiver de velours côtelé rouge par dessus, et encore par-dessus une veste de pêcheur. Il a un bob sur la tête.

Erell s’installe sur la terrasse du Narval, un homme, chauve comme un moine de camembert, boit sa bière à petites gorgées. Les traits burinés, le menton en galoche, le visage hâlé, la tenue de ville impeccable ; il a de la méticulosité dans les gestes. Le petit train touristique passe, coin coin, juste le temps de noter une capeline jaune-canari à larges bords. Ce soir, elles sont invitées à Marseille chez son ami le libraire.

Erell termine son Pac à l’eau et reprend sa marche. Dans la rue Portagnel, un figuier est installé sur le chapiteau baroque d’une maison bourgeoise, ses branches courent sur la façade et desservent en feuilles et en fruits les fenêtres de l’étage. Les maisons étroites s’alignent approximativement, ventres creux ou bombés, le long des rues qui biaisent pour détourner le cours du Mistral. Elle pense au bonheur de jouir d’une terrasse avec vue sur les platanes et les clochers d’Arles, la ville aux cent clochers. À la sortie des remparts, elle découvre le Rhône étale et majestueux, couleur d’étain à cette heure. Son Rhône. À Lyon, le fleuve est plus rapide et souvent d’un vert phosphorescent. N’importe. Là où coule le Rhône, elle est chez elle.

Shoko l’attend devant la gare, elle dit à Erell qu’elle n’a pas terminé ses démarches, elle prendra un prochain train. Elle a été obligée de venir jusqu’ici pour l’avertir. « J’ai déjà essayé dix fois de te convaincre de t’équiper d’un téléphone portable, au moins à carte, tu vois bien que ça rend service dans certaines occasions », mais elle sait que sur ce sujet son amie est résolue à faire de la résistance. 

Par Monique Douillet.
Extrait de Après le onze mars, éditions Langlois Cécile, septembre 2013.

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jeudi 5 décembre 2013

Se souvenir des belles choses


« Couvrez ce sein que je ne saurais voir »… 
Plusieurs jours auparavant on en parlait comme de l’expédition d’une vie. On eut dû gravir la façade nord de l’Everest ou aller découvrir quelque tribu égarée en jungle amazonienne qu’on ne s’y serait pas autrement préparé. 
Le jour fatidique on avait le droit d’accompagner nos mères, un peu comme des sherpas ou des broussards devant dégager au moment de l’assaut les obstacles les plus criants, aux ventes d’usines, pour les chaussures « Bailly », les gaines « Scandale » ou les bas « Weill » qui avaient des entrepôts aux confins villeurbannais. 
Les ventes de surplus font désormais l’objet de soldes ou d’acquisitions privilégiées, alors que dans les années « soixante » les industriels étaient ravis de brader à l’encan des invendus leur restant sur les bras. 
Enfants, en de semblables lieux nous ressemblions à Halfaouine, ce môme égaré en un hammam que de femmes. Que de peau découverte sans se soucier des regards pré-pubères… Des ventres, des seins, des cuisses, des mollets… de quoi parfaire un apprentissage sexuel jusqu’alors réduit aux photos de charme des « revues-ciné ». L’esthétique était à son comble quand l’éthique était au moindre. Et c’était toujours des dimanches ! 
Le retour vous avait des allures de reconditionnement moral et les bus semblaient des capsules spatiales rapatriant des astronautes égarés en quelque voie encore lactée et des ménagères au septième ciel du confort mercantile.

Par Jacques Bruyas.
Chronique villeurbannaise, écrite pour Le progrès en 2010. 

jeudi 28 novembre 2013

Paysages



Cieux jaunes, cieux roses, cieux oranges, par l’épaisseur de la lumière exacerbée, l’automne donnera cette approche charnelle que poudroie déjà l’hiver de ses tons mordorés tout grisés de neige. Il y aura ce chêne déteint de son vert par le regard qui s’éteint, il restera aussi le pesant des fantômes mécaniques et celui des regards cernés par l’aube, quand les femmes se reposent des vies louvoyant entre leurs draps froissés.



Par Valérie Simon, à l'occasion de "Parlons livres", à Mornant, en octobre 2013.

Texte inspiré par les peintures de Jean Couty :
L’ile Barbe, vue de Lyon
La Saône aux glaçons, vue de Lyon
Le camion grue, les chantiers
Les filles de joie, scène de genre

samedi 23 novembre 2013

Sur les pas de Louis Mandrin - 3


Suite et fin de l'histoire de Louis Mandrin, bandit bien-aimé.

Dans cette auberge de son fidèle ami Gauthier, Mandrin prépare avec Bélissard et Dauphiné (autre chef de contrebandiers) une puissante sixième expédition de 2 000 hommes prévue pour mai 1755. Mais c’est dans cet asile sûr que le rejoint Marsin, un espion qui va fournir aux armées royales des renseignements de première main. Marsin fut l’espion qui approcha du plus près Mandrin bien que Gauthier l’ait très tôt suspecté sans convaincre son chef, mais il  n’est qu’un des multiples infiltrés par les Fermiers Généraux au sein des contrebandiers. Mandrin feint alors d’être diminué et, début mai, va « se mettre au vert » à Rochefort-en-Novalaise.

Les Fermiers Généraux décident donc de pénétrer illégalement en Savoie, alors dans le duché de Piémont-Sardaigne, et c’est dans la ferme du château de ce village que, la nuit du 10 au 11 mai 1755, 500 hommes déguisés en paysans arrêtent Mandrin et ses amis, grâce à la trahison de deux des siens. Ils pillèrent au passage le château du Premier Président du Parlement du Dauphiné. La Morlière, Fischer et Diturbide jugèrent prudent d’évacuer sur une charrette Mandrin et Saint Pierre pieds et poings liés vers Valence où ils arrivent le 13 au matin musique en tête, mais encadrés de dragons. « Belle Humeur » justifie son surnom, fumant sa pipe et interpellant joyeusement la foule.

Le juge de Valence, Gaspard Levret de Malaval, dévoué aux Fermiers Généraux, traite convenablement Mandrin qui demeure calme et plein d’assurance et dont il reconnaît « qu’il lui en impose » tandis que des anonymes couvrent la prisonnier de cadeaux (viandes et gâteaux ou boissons alcoolisées). Néanmoins, comme le roi de Sardaigne Charles-Emmanuel III exige depuis Turin auprès de Versailles la restitution du prisonnier capturé sur son territoire, pressé par le Contrôleur général des Finances, menacé d’une invasion des troupes de contrebandiers massées sur la frontière par Belissard « Le Pays » parlant de tout mettre à feu et à sang pour délivrer son chef à Valence, il accélère l’instruction. La peine de mort est prononcée le 24 mai, Mandrin, qui a subi le supplice des brodequins sans parler, est roué vif puis étranglé sans un cri devant 6 000, voire 12 000 curieux venus parfois du fin fond du Vivarais, mais surveillés par les soldats en armes du régiment de Tallern, le 26 place des Clercs. La capture de Louis en terre savoyarde entraîna de très vifs échanges entre le gouvernement  de Louis XV à Versailles et celui du roi de Sardaigne à Turin : ce dernier obtint l’extradition … quatre jours après l’exécution à Valence ! Fidèle à son pays, il aurait partagé avec le père Gasparini venu l’assister « un verre de cette délicieuse liqueur que l’on fabrique à La Côte-Saint-André et pour laquelle je garderai, même dans l’au-delà, une prédilection » ; fidèle à son engagement, il aurait demandé que l’on poursuive sa lutte contre le fisc. 

Moins de deux ans après l’exécution de son frère Louis, Claude Mandrin à la tête d’un fort contingent de contrebandiers vint depuis la Savoie faire une démonstration militaire au Pont-de-Beauvoisin, insultant sur le pont-frontière les autorités françaises et menaçant de mettre la bourgade à sac ! Le royaume de Piémont-Sardaigne obtint la suppression des têtes de pont françaises sur la rive gauche du Rhône en 1760. En 2002, le nom du « héros » local est donné à une bière grenobloise aux noix ! Sa légende a inspiré dès sa mort (mais à qui ?) une complainte comportant neuf strophes sur l’air d’un opéra de Jean-Philippe Rameau, Hippolyte et Arcie composé en 1733, mais elle est truffée d’inexactitudes (vêtements blancs, contrebande non évoquée, place du Marché à Grenoble et non place des Clercs à Valence où il fut roué et pendu après sa mort aux fourches patibulaires !) car il existe tout un cycle de Mandrin comme d’ailleurs de Lesdiguières. Son nom même est devenu commun pour désigner les contrebandiers sous le terme de « mandrins » et il fut une manière de symbole dans la lutte contre l’Ancien Régime en particulier lors de la Commune de Paris. Le cinéma lui aussi a mainte fois mis en scène ce « bandit bien-aimé » sans être toujours fidèle à l’Histoire.

Par Pierre Coeur.

Pour en savoir plus :
Mandrin, le capitaine général des contrebandiers de France, éditions Hachette, Paris, 1908, par Frantz Funck-Brentano 
L’aventureuse existence du Capitaine Mandrin, collection « Provinces »,  éditions Concorde, 1944, par Prosper GIEN 
Contrebandiers et gabelous, éditions France-Empire 1999, par André BESSON 
Mandrin Louis (1724 – 1755), Thesaurus III de l’Encyclopedia Universalis France S.A., 2008, par Louis TRENARD 
Mémento de l’Histoire du Dauphiné, éditions des Traboules, 69530 Brignais, 2012, par Pierre CŒUR 
Wikipédia, Louis MANDRIN

vendredi 22 novembre 2013

Sur les pas de Louis Mandrin - 2


Suite de l'histoire de Louis Mandrin, bandit bien-aimé.

En 1754, il organise cinq campagnes de contrebande. Le 17 juin de cette année-là, l’intendant du Dauphiné écrit : « L’audace des contrebandiers se porte aux derniers excès. Non contents d’introduire à mains armées dans le royaume des marchandises prohibées, ils intimident les employés, ils entreprennent d’enlever aux collecteurs les deniers des recettes ». Le 21 juin, ils exposent leurs marchandises sur le marché de Millau, alors que des guetteurs préviennent toute mauvaise surprise. A Rodez, ils obligent même les employés des fermiers généraux à acheter leurs produits sous la menace de leurs armes. La campagne d’août, la troisième, atteint Brioude, Craponne et Montbrison où Mandrin oblige le maître-geôlier à libérer huit coupables de faux saunage, contrebande, complicité ou désertion mais non treize auteurs de vols et deux auteurs de meurtres. Le 3 octobre, à la tête de plus de 300 hommes, Mandrin franchit le Rhône-frontière au Pont de Grézin en direction du col de la Faucille, passe par  Nantua, Châtillon-sur-Chalaronne et Thoisey, puis Charlieu en Forez et Roanne et enfin le Puy, terme de cette quatrième expédition,  continuant à laisser de la marchandise prohibée contre espèces sonnantes mais en délivrant des reçus dûment signés … à la grande joie du peuple, des petits bourgeois mais aussi des grands seigneurs. Si les choses se passent un peu mal chez Dupin entrepreneur des tabacs au Puy, Mandrin ayant un bras cassé par un coup de feu, l’escale chez Pierre Baillard du Pinet receveur entreposeur du grenier à sel et représentant de la gabelle à Montbrison se termine mieux puisque Madame du Pinet prend soin du capitaine contrebandier et fait quérir manu militari (ou contrebandari ?) un médecin pour lui qui pare le bras avec des « palettes » ; Mandrin remerciera en offrant un rouleau de soie des Indes.

Afin d’achever la guérison de sa fracture et la fermeture de ses plaies, Mandrin gagne Rochefort-en-Novalaise, près du Pont-de-Beauvoisin, chez de Piolenc le fils du premier président du Parlement du Dauphiné, de Thoury, qui avait été obligé de signer la condamnation à mort de Louis Mandrin mais était resté courtois avec lui au point de lui proposer un refuge en Savoie. Il est plus exactement reçu chez le fermier du château, Maître Perrety, dont l’épouse Jeanne Marguerite est la maîtresse de Louis. Tout près de là, à Pont-de-Beauvoisin, Saint Pierre le Cadet, Amboise et Bélissard préparent une cinquième expédition. Cette expédition ayant passé la frontière enneigée durant la nuit du 14 au 15 décembre 1754 dans le Jura, arrive vite près de Pontarlier, puis près de Besançon où elle défie les cavaliers d’Harcourt, puis à Beaune en Bourgogne. Là, l’accueil initial est un peu froid mais Mandrin  un verre de bourgogne à la main, retourne si bien la situation que les Beaunois retardent Fischer et ses cavaliers francs-comtois qui poursuivent les contrebandiers. Néanmoins, Fischer rejoint ces derniers venant de quitter Autun, près du village de Gunan. Mandrin organise alors la retraite du gros de ses troupes laissant une vingtaine des plus braves contrer chasseurs et dragons de Fischer ; tous moururent, souvent dans l’incendie d’une grange transformée en citadelle, sauf cinq qui furent arrêtés, mais ils avaient causé de lourdes pertes aux adversaires. Les « mandrins » mettent bientôt plus de quinze lieues entre eux et leurs poursuivants, souvent mis sur de fausses pistes par les habitants ou trompés peut-être par les traces dans la neige de chevaux ferrés à l’envers ; on en retrouve près de Lapalisse et à La Sauvetat au-delà d’Arlanc et La Chaise-Dieu. Attendus dans ce village par les régiments d’argoulets commandés par le capitaine Diturbide et arrivés de Lyon, ils doivent se disperser et Mandrin, Ambroise et Jean Saint Pierre le Cadet, blessés plus ou moins gravement, se retrouvent dans une ferme du Haut-Vivarais où le père Ambroise qui avait fait de Mandrin un grand contrebandier est enterré par ses amis. Les deux autres, proclamés morts par les officiers du roi qui avaient retrouvé à Gunan le chapeau à chamarrures dorées de Mandrin criblé de balles, regagnent l’Auberge du Lion d’Argent à Carouges au bord du Léman.

A suivre.
Par Pierre Coeur.