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Tableaux en attente d'écrits UERA

jeudi 31 janvier 2013

Inspirations urbaines


Marty s’engage dans l’avenue. A sa suite, le vent s’engouffre comme une traîne de mariée. Il avance comme s’il était seul au monde, et peut-être, l’est-il. Voila des années qu’il refait le même parcours. Des années depuis Machenka. Des années sans Machenka. Pourtant, malgré ce temps, l’instinct le guide plus que l’habitude. Car tout le ramène là-bas, au bout de son périple, à ce lit défait, à ces draps aussi froissés que les plis de sa peau. 
Continuant plus avant sur l’avenue, les poteaux télégraphiques, points de repère idéal, bourdonnent au dessus de sa tête. A ses pieds, des fleurs minuscules défoncent la chaussée. Des inscriptions, seuls vestiges de la main de l’homme, plastronnent sur les murs. Ce monde ne tient plus debout au propre comme au figuré. Et Marty pas plus. 
Il lui semble que ces composantes du puzzle citadin veulent chacune leur part du gâteau. Elles se livrent bataille, béton contre écorce, brique contre branche, racine contre fondation. L’impression première est que les éléments n’ont pas encore choisi : qui de la création humaine ou des éléments naturels prendra le dessus ? Dans ce bas monde, là où Marty piétine, seule cette dernière question reste en suspens. En suspens, sauf pour Marty. 
 *
Animé de ce feu intérieur, Marty entra dans le seul bar de Tohu-Bohu. Il n’eut pas le temps de s’installer au comptoir qu’il était déjà amoureux. A ses côtés, Machenka portait un long collier où prônait, entre ses seins, un énorme médaillon. Une photo jaunie y était insérée. Intrigué, Marty y regarda de plus près. Ce cliché représentait Machenka elle-même, du temps où le soleil régissait encore la terre. Piqué au vif par cette photo, le cerveau de Marty bouillonna. En temps normal, il n’aurait su aborder cette sublime créature. Il aurait tergiversé jusqu’à ce qu’un autre le fasse. Ensuite, il se serait résigné à penser que cette occasion loupée était de toute façon perdue d’avance. Pourtant, pour une fois, sa détermination lui permit de vaincre son inhibition. Il commanda deux verres et s’approcha aussitôt de cette déesse. Dans le souvenir de Marty, Machenka l’avait invité du regard à s’asseoir à ses côtés. Au contraire, Machenka ne cessait de lui répéter qu’elle avait été abasourdie par son culot. Elle avait été à deux doigts de congédier ce malotru. Ces deux versions contradictoires furent la première des nombreuses fois où leurs avis divergèrent. 
Lors de cette première rencontre, Marty fût particulièrement prolixe. Il avoua venir d’un lieu que tout le monde montrait du doigt, un lieu emblématique des errements de l’homme : le cratère ouvert suite à l’effondrement d’un tunnel sur la rive gauche. Il en avait été l’architecte. Concepteur de cette horreur, il en connaissait chaque recoin par cœur. De plus, ce champ de ruines offrait un abri douillet par n’importe quel temps. Tous les jours, Marty s’en extirpait comme une lave en fusion. Pourtant, le matin même, sa curiosité l’avait définitivement convaincu de tenter sa chance ailleurs. Marty avait ainsi erré toute la journée jusqu’à se retrouver face à Machenka. En quelque sorte, il venait de quitter l’ombre pour la lumière. Du moins le présenta-t-il ainsi. 
Mais, ce jour-là, malgré son flot de parole, Marty cacha l’essentiel. Si la vérité avait envahi sa bouche, il aurait avoué être un danger. Comme tout homme, il portait en lui le fruit de sa propre destruction. Curieusement, il aurait aimé en avertir cette fille. Mais quelque chose l’en empêchait. Certainement l’envie de la séduire coûte que coûte. Dans ce mensonge par omission résidait l’ambivalence de Marty. Cet homme était capable de vous donner un rein à une seconde puis de vous l’arracher avec les dents à la suivante. 
Loin de ces considérations, Machenka l’écoutait. Naïvement nature, elle était armée de toute sa compréhension. Elle savait la fin du monde imminente. Chaque habitant en était conscient. La date limite se comptait en jours, en mois, en années, tout au plus en décennies mais certainement plus en siècles. Cette épée de Damoclès au-dessus d’elle expliquait que plus rien n’avait d’importance si ce n’est l’essentiel. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, de jeunes gens avaient à répondre à ce qu’il importe de faire quand tout est perdu. Dans ces conditions, la pudeur, le bien et le mal étaient valeurs obsolètes, balayées par le plaisir d’oublier ne serait-ce qu’une seconde l’imminence de la fin. A cause de cette situation, l’urgence aiguisait la moindre pensée. Machenka et Marty étaient des combattants. Le rire était leur arme, dérisoire mais magnifique. Le bonheur courait dans leur gorge comme un perpétuel invité. 
Ce premier soir, ils avaient déjà beaucoup trop bu quand quelques verres supplémentaires les aidèrent à traquer la beauté plus avant dans la nuit. Ils en oublièrent les regards hostiles autour d’eux, ces regards réprobateurs envers cette union de la vertueuse Machenka et du salopard Marty. Au détour d’une nouvelle gorgée, ils se scrutèrent avec l’intensité des amoureux. Comme lui, Machenka cherchait son coin de paradis. Comme elle, Marty avait peu d’amis mais beaucoup de sommeil en retard. A l’unisson mais sans l’avouer l’un à l’autre, ils décidèrent de ne pas dormir seuls cette nuit-là. 
Quittant le bar, ils empruntèrent les lacets de la colline jusqu’à l’appartement de Machenka. Dans cet endroit, Marty et sa nouvelle conquête consumèrent leur amour farouche, maladroit et despotique tour à tour. Dès le premier soir, Marty dégrafa la combinaison alambiquée et végétale de Machenka. De son côté, il ôta sa froide carapace de métal. Ils n’eurent jamais le temps d’observer que leur amour était contre nature. A force d’attentions, chacun désirait épuiser son partenaire. L’épuiser jusqu’à oublier cette mer de crasse au dehors. Oublier l’univers. Oublier, simplement, au moins pour une nuit. 
[...] 

Par Eric Chatillon.
Extrait de Chaos silencieux, éditions Au fil du temps, novembre 2012.
Nouvelle illustrée par 38 photographies lyonnaises de Stéphane Ros. (livre au rayon Beaux-Arts)
Exposition du 5 au 23 mars 2013 à la mairie du 1er arrondissement de Lyon.

dimanche 27 janvier 2013

Berlioz, enfant de La Côte-Saint-André (Isère)


Et si nous nous promenions sur les traces de Berlioz ?
Hector Berlioz est un enfant de la Côte Saint-André une paisible bourgade du Dauphiné, une contrée de l'Isère définie sous le vocable de terres froides (certes en rapport avec le gel constant en hiver mais signifiant surtout terres peu productives (on y cultiva longtemps le tabac), de ces terres dont les figuiers s'assèchent comme frappés par la parole christique).
 


Berlioz par M. Clavaud d'après Signol, 1830.



Berlioz par M. Clavaud d'après Courbet.

Berlioz a souvent été attaqué par la caricature : son physique « d’aigle irrité, impatient de l’espace et auquel on a refusé l’essor », selon le mot de Théophile Gautier, ne devait pas toujours inspirer des variations pour thèmes lyriques.

Plus souvent, ces cheveux en bataille, cette prestance fracassante, ne furent pas transfigurés dans une vision romantique, mais bien plutôt défigurés par la plume acerbe des caricaturistes. Qui n’a en tête le « concert à mitraille » que dirige un Berlioz tonnant, fier et chevelu, et dans lequel, à côté des instruments traditionnels, viennent se ranger des canons ?

L’opinion publique, frivole, mais impressionnable, s’attachait ainsi aux seuls aspects gigantesques des partitions de Berlioz, ou, pour employer sa propre terminologie, au caractère « babylonien », « pyramidal », de sa musique.

Mais il est un autre genre de caricatures qui ne s’en prend pas uniquement au musicien. Je veux parler de celles qui confondent en une même vision le musicien et l’écrivain, pour souligner ce qui leur semble être une contradiction : on ne saurait cultiver deux arts à la fois.

Prenez par exemple ce dessin tapageur paru au lendemain de l’échec de « Benvenuto Cellini » : le maestro inspiré qui fait résonner les mesures de son GRRRAND opéra (plusieurs R dans la légende), tient de son autre main une plume de feuilletoniste. Un si mordant journaliste, un chroniqueur aussi habile, ne saurait être un musicien.

Prenez encore ce dessin de Grandville : « deux mains pour un seul homme ». On y voit deux mains droites, en éventail, celles de Berlioz. L’une tient une baguette de chef d’orchestre, l’autre, une plume qui libelle un « feuilleton musical ».

C’est que la caricature est douée pour saisir un malentendu, pour le mettre en image, pour tendre au public une vision schématique mais alléchante ; elle résume, abolit les nuances intimes de l’être en grossissant, par contraste, ses défauts saillants - ou même, moins que ses défauts, ses caractéristiques.

Pourquoi tant parler de caricatures ? Parce que l’image de Berlioz est plus souvent une caricature qu’un portrait. Ce fut une première raison pour moi de m’intéresser à ce musicien réputé fracassant, champion des orages désirés, à cet écrivain brillant, à ce redoutable journaliste. Ce héros des bandes dessinées de l’époque valait sans doute la peine d’être scruté plus profondément, et en particulier à travers cette insolente et superbe contradiction du musicien écrivain. C’était ce dilemme – ou cette dualité – qui me captivait.

Pourquoi ce grand musicien en était-il arrivé à devenir esclave des feuilletons ? Parce qu’il lui fallait vivre. « Fatalité ! Je deviens critique ! » s’est- il exclamé. On conçoit fort bien que cet « aigle impatient de l’espace » ait été irrité de se livrer à l’analyse d’œuvres à tout-venant, par exemple, Pigeon-vole.

Lui, l’amoureux du beau, du sublime, voir régulièrement figurer la médiocrité dans le carcan de son emploi du temps journalistique ! Il y avait là de quoi lui « donner le choléra », pour reprendre son expression énergique… mais amère.

Et pourtant, dans tout propos, quel bonheur de style, quelle virtuosité, quel enchantement du langage ! Malicieux, frondeur, sarcastique, mais avec quelle prestance ! Et il n’y a pas que de malheureux opéras comiques au répertoire de la Muse ; soyons juste : la Presse est une tribune de choix, pour l’orateur qu’est Berlioz, lorsqu’il s’agit d’entonner un hymne à la gloire de la belle musique.

« Fatalité » que ce métier ? Ou don ?

Berlioz par M. Clavaud d'après Baugniet, 1851





Par Monique Clavaud. Avant-propos de sa thèse "Hector Berlioz, visages d'un masque. Littérature et musique dans la Symphonie fantastique et sa suite." 
A suivre : Berlioz écrivain de sa musique.

vendredi 25 janvier 2013

Souvenirs lyonnais


[...] C’est à ce moment-là que je choisis de venir au monde… ici, à Lyon, à Lugdunum, ville du Dieu Celte Lug, ville de la  lumière.

UN QUARTIER LYONNAIS
Après deux années en Alsace qui vont marquer irrémédiablement ma vie, mes parents viennent habiter un deux-pièces, au 8, de la rue Florent à Montplaisir-la-Plaine (Lyon 8ème).
C’est un logement qu’occupe la sœur aînée de ma mère, Gilberte, surnommée Nénette avec son mari François.
Ils vont s’installer, à côté, dans le quartier de Monplaisir-Ville et offre, ainsi, la possibilité à mes parents de se reloger ici.
Ce n’est pas grand, mais il y a un immense terrain devant la porte de ce logis, clos par un mur tout autour, dont le mur du cinéma. Nous avons pour voisins, la famille Aznar, des immigrés espagnols dont le fils, Lucien meurt d’une leucémie à l’âge de dix-sept ans. Je les aime beaucoup.
A cette époque, ce quartier de Lyon est encore un petit village avec des champs de coquelicots et de bleuets, des hannetons, des coccinelles, des vers luisants. Les soirs d’été, mon père aime venir s’installer sur le bord de la rue Florent pour parler avec les voisins. Il s’assied sur une chaise tournée le dos à l’envers et lorsque nous sommes seuls, tous les deux, il me raconte des histoires, me montre les hannetons au vol lourd autour des lampes, le feu des lucioles. Il me fait découvrir la Voie Lactée. Il me révèle qu’un jour les hommes marcheront sur la lune. Certaines fois, il aime me montrer les étranges animaux que dessinent les nuages. Attentive, je l’écoute et j’observe assise, sur le bord du trottoir, mes bras enserrant mes genoux.
Ce quartier populaire héberge des familles de tous horizons. Quelques rues plus loin, on rencontre la Cour des Miracles, des maisons faites de bric et de broc où s’entassent, pêle-mêle, les immigrés italiens et espagnols au milieu de Français aux multiples enfants qui forment d’énormes familles.
Tout cela fait un quartier chargé de couleurs, de cultures différentes, de tintamarre joyeux et grouillant où le patois lyonnais (avec la Mère Cotivet) est encore bien présent dans les bouches. Moi-même, je le parle au quotidien, mais plus tard avec le brassage des populations et l’arrivée des pieds-noirs, il tombera en désuétude.
On entend les appels du « pati » qui vient ramasser les chiffons et toutes sortes d’objets hétéroclites, le cri de l’aiguiseur de couteaux et celui du vitrier. Le laitier, aussi, fait son tour et apporte le bon lait frais dans les berthes tintinnabulantes. L’atmosphère est emplie de ces bruits familiers, du caquètement des poules et du chant des coqs, des aboiements des chiens, de la voix des enfants qui jouent.
Cela donne un air de joie et de paix enfin retrouvées où chacun s’active et se reprend à vivre, tente, désespérément, de trouver le bonheur dans ces années d’après-guerre.
Ma grand-mère maternelle habite une rue plus loin, à l’angle de la rue Guérin. Elle élève des poules et des lapins dans la cour de son jardin, gardée par des chiens…
C’est une femme avec de la trempe, au caractère mauvais. Méchante avec ses enfants, particulièrement, avec ma mère qu’elle bat. Elle oblige celle-ci à s’occuper des plus jeunes, Carmen, Jeanne, Rose et Jean.
Quant aux aînés, Charles, revenu ravagé par la guerre, les pieds gelés, épouse Irène, elle a deux enfants, ils en font quatre et il plonge dans l’alcool. Marie et Diego se sont mariés à leur tour, puis René avec Jeannette qui décèdent et laissent trois enfants orphelins. Enfin, Gilberte quitte, tôt, le toit familial pour épouser François qui se mettra à boire.  
Installé dans ce nouveau quartier, le père Joseph Lopez Haro, menuisier se met à vendre du poisson sur les marchés. Bizarrement, ma mère aime bien cet homme qui lui tient lieu de père.

Pendant la guerre, à Lyon, la population doit se nourrir de rutabagas, d’épluchures de patates, puis elle cherche sa pitance dans les poubelles. Ma mère et sa famille le font, également.
A seize ans, ma mère qui meurt de faim, fait la connaissance de mon père au fort de Bron et l’on sait la suite, plongés tous les deux, dans le tourbillon effroyable de la barbarie nazie.

DES PARENTS
Alors, mes parents vont s’appliquer à vivre, là, dans ce quartier très populaire. Mon père surtout, déraciné de sa terre natale, de son Alsace chérie. Après la guerre, des tickets de rationnement circulent encore quelques années et mes parents les utilisent.
Mon père trouve une place au haut-fourneau du Gaz de France, en plein essor. Et, à la sortie de sa journée harassante, il en recommence une autre. Il devient charbonnier et il livre des sacs de charbon qu’il porte sur son dos, chez des particuliers, au rez-de-chaussée, mais aussi, très souvent, dans les étages. Ce qui le change du bon air de la scierie alsacienne.
Après douze années de ce régime, il finit par attraper la silicose et il est reclassé jardinier à l’Ecole des Métiers de G.D.F. à Lyon, la Mouche, dans le quartier de Gerland. Il renaît à entretenir les jardins. Il tond la pelouse et greffe des roses.       
Dans le grand terrain attenant à notre logement, mon père exploite un immense potager. Cela lui permet de nourrir sa famille qui augmente au fil des ans par les naissances rapprochées de mes  frères et sœurs.
Après moi, ma mère accouche de Jean-Claude puis, chaque année, au sein de leur foyer vient une nouvelle bouche à nourrir. Nous sommes six enfants, trois filles et trois garçons. Nous dormons, tête-bêche couchés par deux, dans des lits disposés autour de celui des parents. Moi, je sommeille, près du poêle, dans la cuisine. Mes frères Jean-Claude et Jean-Paul, mes sœurs Jocelyne et Marie-Claude sont blonds comme les blés, presque blancs tels des Norvégiens, avec des yeux très bleus. Moi et Christian sommes les seuls à naître bruns comme ma mère, mais je possède les yeux verts de mon grand-père « Seppi ». J’hérite du visage de mon père et du sourire de ma mère.
Je vais à l’école Place Général André. A cinq ans, je lis le journal couramment. Mon père dans ses moments de loisirs m’apprend à esquisser des sapins de Noël et des paysages de neige de son Alsace mais aussi des palmiers et des déserts, souvenirs de ‘sa’ guerre.
J’adore dessiner et je l’aime tant ce père magnifique, travailleur inlassable, qui, pour adoucir les tourments de ma mère et malgré ses longues journées de labeur, lave, étend et repasse le linge, prépare les repas, fait le marché et le jardin, les samedis et les dimanches. Ma mère raccommode, nous tricote des vêtements, nous aide à faire nos devoirs. Nous sommes toujours bien nourris et tenus impeccablement.
J’aime l’école particulièrement. Ce qui me passionne, c’est l’apprentissage de l’écriture, les mots de la langue française et la grammaire.

J’aime jouer avec le sens, la consonance et l’essence des mots, jongler avec le vocabulaire, j’aime écrire et lire... passionnément…

Par Dana Lang
Extrait de Les sanglots du vent, éditions La fontaine aux fées, septembre 2011.