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Tableaux en attente d'écrits UERA

dimanche 31 mars 2013

L'enfant Loire - 1

Promenade dans les souvenirs de Félix Garonnaire...

A Valbenoîte, le surveillant de notre groupe était lui-même un frère mariste de très petite taille et de forte corpulence, ce qui lui aurait permis de se déplacer plus aisément en roulant plutôt qu’en marchant. Il compensait aisément les limites de son intelligence par l’excès de discipline qu’il nous imposait partout, que ce soit en étude, pendant la messe, en récréation, au réfectoire ou au dortoir. Pour une raison que je n’ai jamais connue, on le surnommait « Tonton », qualificatif au demeurant mal adapté si on se rapporte à un avocat de la Nièvre qui l’a endossé plus tard. Tonton avait un goût quasi morbide de l’ordre et de l’économie… Un soir, peu de temps après l’extinction des feux, dans un noir aussi total que silencieux, on entendit tout à coup une bille tomber et rouler longtemps sur le sol. Sa chute déclencha aussitôt des fous rires plus ou moins étouffés sous les couvertures ainsi que la rapide arrivée du surveillant…
Un soir, peu de temps après l’extinction des feux, dans un noir aussi total que silencieux, on entendit tout à coup une bille tomber et rouler longtemps sur le sol. Sa chute déclencha aussitôt des fous rires plus ou moins étouffés sous les couvertures ainsi que la rapide arrivée du surveillant qui, alerté et orienté par le bruit, se rendait sur les lieux du crime. Le coupable tentant de dissimuler sa réserve de billes qui ne demandaient, elles aussi, qu‘à prendre la fuite, les laissait aussi maladroitement que malencontreusement tomber, les unes après les autres, à intervalle régulier, alors même que le surveillant s’approchait dangereusement de lui. Nous imaginions dans le noir la tête des deux acteurs concernés pendant que les billes, indifférentes au drame, continuaient de s’échapper bruyamment avec une régularité de métronome. La scène était d’autant plus hilarante qu’invisible. Elle était amplifiée par notre imaginaire. Après la manifestation de l’autorité et malgré sa vigueur, des rires dispersés et plus ou moins étouffés étaient encore perçus pendant une partie de la nuit. Il est inutile de préciser que « l’égoutteur de billes » s’est vu refuser la sortie à laquelle il aurait eu droit sans cette fâcheuse aventure.
A suivre.
Par Félix Garonnaire.
Extrait de L'enfant Loire, autobiographie.

vendredi 29 mars 2013

Villars les Dombes un jour de froid



Encore un peu de neige ?

Il neigeait encore et l’air immobile était glacé.  Pas un bruit ne venait troubler cet après-midi de janvier. Le ciel et l’eau fusionnaient dans un subtil mélange de gris et de bleu que transperçait une pâle lumière qui glissait sur la glace de l’étang. Les arbres dressaient leur silhouette torse et maigre, figés dans le froid stellaire. Certains tranchaient encore le ciel de leur tronc brun tandis que les autres, givrés, se fondaient dans l’uniformité livide. A leur pied, une masse indistincte de végétation roussie jetait une tâche de couleur fauve qui ne parvenait pas à réchauffer cet univers de glace. Posés sur un trou d’eau miraculeusement épargné par le gel, une colonie de canards et quelques mouettes subissaient, engourdies, la rigueur implacable de l’hiver. Soudain, le promeneur fit rouler un caillou. Ce fut comme un coup de tonnerre qui brisa le silence infini. Avec un ensemble parfait, les volatiles prirent leur envol, caquetant et criaillant. La vie avait repris le dessus.

Villars les Dombes huile 73X60 – Annick MORIZE 2013 – www.annick-morize.fr

Par Jacques Morize.

mercredi 27 mars 2013

Camille Claudel dans l'actualité ? - 2

Suite de la lettre - imaginée par J. Bruyas - de Camille Claudel à son frère, à l'occasion du film "Camille Claudel 1915" de Bruno Dumont avec Juliette Binoche.

[...]
Mon Paul, mon petit Paul, je sais que tes pièces  continuent  d’être jouées  à travers le Monde et que justice t’est en quelque sorte rendue chaque soir sur les planches d’un théâtre mais qui oserait dire que tu fus un des premiers intellectuels à interpeller le Maréchal Pétain sur la complicité assassine de son gouvernement à l’égard des juifs de France, que tu fus des rares écrivains à demander l’abolition de la peine de mort, insupportable au seul égard de ta foi, en un pays où la guillotine marchait alors à pleine puissance, à dénoncer les bagnes et travaux forcés, toi, qui aurais alors laissé sa sœur internée en ce maudit hôpital de Mondevergues où ma propre mère et ma sœur m’enfermèrent prétendument pour mon bien.
Souviens toi, mon cher Paul, mon second prénom est Anastasia, ou Anastasie, comme l’Anastasie du Père Goriot de Balzac, honnie par sa sœur Delphine…mais moi  je ne voulais de notre père que son amour, nullement son héritage…
Tu jouais avec mon prénom en ce début de XXème siècle en apprenant la naissance d’une princesse russe aussi prénommée Anastasia et tu m’affublais des diminutifs de cette dernière en m’appelant dans ta tendresse Nastanka ou Nastya… Qu’il est loin ce temps des bonheurs simples.
On va donc m’incarner sur grand écran, me montrant exaltée, possédée, et surtout contrite d’une attente insatisfaite d’un petit frère impuissant à me dégager des griffes d’une procédure tutélaire m’obligeant à un enfermement à vie.
Tu vas encore en entendre des vertes et des pas mûres sur ton compte, sans compter qu’en ces temps de pensée unique tu représentes tout ce que les esprits supérieurs s’appliquent à dénigrer, un grand ambassadeur, un chrétien papiste, un écrivain catholique engagé dans sa foi mais détaché des errements sociaux, un individualiste par la force de tes éloignements diplomatiques et de tes réserves de haut fonctionnaire, un frère aimant, aimé mais incapable de s’opposer à une mère castratrice enfin un mari et père de famille clanique, jouant au hobereau campagnard dans ton Brangues d’adoption…Qu’importe mon petit Paul, saches que moi je t’ai toujours chéri et que si la vie en avait été différente, point mon amour n’en aurait été moins fort.
N’écoute rien à mon sujet, caresse quelqu’une de mes statues et remue dans ton cœur un de ces instants magiques des soirées de Villeneuve-sur-Fère où nos rires conjuguées interpellaient les étoiles et plaisait forcément à Dieu.

Ta Camille

Par Jacques Bruyas, auteur de la pièce Nous ne reviendrons plus vers vous (éditions Cosmogone), inspirée des correspondances échangées entre Camille et Paul Claudel, dont vous pouvez découvrir un extrait en cliquant ici.

mardi 26 mars 2013

Camille Claudel dans l'actualité ? - 1



Lettre de Camille Claudel à son frère Paul, imaginée par J. Bruyas à l'occasion de la sortie du film "Camille Claudel 1915" de Bruno Dumont avec Juliette Binoche.
 
Mon Paul, mon petit Paul,
Aïe, aïe, j’ai peur pour toi car figures-toi qu’une nouvelle fois on porte ma vie à l’écran… et pourtant ma vie n’eut rien de cinématographique, loin s’en faut… mais il en est ainsi des fantaisies des auteurs dramatiques comme des scénaristes, ils s’imaginent toujours que le malheur est propice à la profondeur d’un propos et qu’il n’est de vérité qu’au-delà du miroir.
Oui, mon cher Paul, après Isabelle Adjani c’est Juliette Binoche qui va m’incarner  et c’est plutôt flatteur que deux des plus belles comédiennes du cinéma français me prêtent ainsi leurs traits harmonieux.
Ce deuxième film est signé Bruno Dumont, un cinéaste qui t’aurait plu puisqu’il est dans l’esprit de quête spirituelle chère à  « son » maître Robert Bresson , un « claudélien «  dans l’âme, et le sujet même de ce long métrage est singulièrement  axé sur cette année fatale de la Grande Guerre, où déjà internée, on m’annonça ta prochaine visite… ta première visite.
Je ne te tiens pas grief de tes absences et trop rares (pour mon bien être affectif) visites car je sais que tu ne peux rentrer ainsi de l’Etranger, à ta guise, et que par ailleurs les modes de transport ne te permettent guère des allées et venues entre les différents points du globe où tu fus affecté durant tout mon internement.
Mais tant d’esprits chagrins formatés aux idées toutes faites, véhiculées par un ordre moral nouveau, veulent d’office te rendre coupable de mon internement et te faire l’injustice d’un abandon absolu de ta part à mon égard.
Je sais, moi, qu’il n’en est rien, et j’ai comme une preuve irréfutable de ton amour pour moi, cette soirée de Noël 1886 où, rentrant de Notre-Dame tu vins, tout exalté frapper à ma chambre et me promettant le silence absolu, tu m’annonças  la Grâce dont tu venais d’être frappé. Lorsqu’un frère confie à sa  sœurette , certes aînée, la plus intime de ses pensées c’est qu’il l’aime au-delà de tout  et qu’il ne l’abandonnera jamais.

Moi, je pourrais dire que tu ne m’as jamais abandonnée, mais qui diantre s’en soucierait puisque à travers cet internement forcé dont mère s’est personnellement chargée, c’est toi qu’on veut atteindre chaque fois que ma vie misérable est évoquée.
1915…Tu es déjà un auteur confirmé, un écrivain reconnu et ton théâtre a déjà atteint sa plénitude avec  « Tête d’Or » en 1890, « La jeune fille, Violaine » en 1892 et revue en 1899, « La ville » en 93, « L’échange » un an après suivi du « Repos du septième  jour » puis en 1906  cet exceptionnel « Partage de midi », enfin « L’annonce faite à Marie » et encore « Protée »….1915…une Œuvre et tu n’as seulement que 47 ans… !

Moi aussi j’aurais pu avoir une œuvre si ce damné Rodin m’avait laissée éclore… Tu vois lui , on le rend moins responsable de mon  état que toi… alors que ton amour ne m’a jamais fait défaut… mais lui… Il m’a volée, spoliée, vidée comme  ces coquillages que les gourmets vont déloger dans leurs carapaces de calcaire  avec une petite fourchette pointue et  avalent  goulûment… Rodin et ses sbires ont sucé mon esprit créateur et ont souillé mon être comme ces prédateurs affamés.

A suivre.

Par Jacques Bruyas, auteur de la pièce Nous ne reviendrons plus vers vous (éditions Cosmogone), inspirée des correspondances échangées entre Camille et Paul Claudel, dont vous pouvez découvrir un extrait en cliquant ici.