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mercredi 28 août 2013

Chopin la note bleue


Pour sa rentrée, le Promeneur marche à pas feutrés dans l'univers de Chopin... et vous ? 

Boris Vian avait imaginé, dans son roman « l’Ecume des Jours », le « pianocktail » : en tapant sur certaines touches, on composait un mélange d’un alcool ou d’un autre, d’un jus de fruits, d’eau gazeuse ou plate.

Les modes majeur ou mineur déterminaient les saveurs sucrées ou pimentées de la boisson commandée par l’improvisation du pianiste.

Chopin, bien avant lui, avec les seules touches noires et blanches, faisait jaillir toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et même, au-delà, tout le prisme de l’âme.

Le poète allemand Henri Heine comparait tout naturellement aux couleurs les œuvres du compositeur franco-polonais :
« Chopin est le Raphaël du piano. Dans sa musique, chaque note est une syllabe, chaque mesure un mot, chaque phrase une pensée ». Intéressante comparaison, puisque pour souligner une connivence artistique avec le peintre Raphaël, Heine utilise le vocabulaire d’un écrivain. Comment ne pas penser aux correspondances de Baudelaire !
Et voici une autre appréciation due à Franz Liszt : il faut d’abord savoir ce qu’est le tempo rubato, « allure dérobée », c’est-à-dire affranchie de la tyrannie d’un métronome, et permettant à l’interprète de ralentir ou de se précipiter.
« Supposez un arbre que le vent fait ployer. Entre ses feuilles, passent les rayons du soleil et la lumière tremblotante qui en résulte, c’est le rubato ».

Chopin, on ne le sait guère, était professeur de piano. Passionné par l’opéra, il comparait l’interprétation d’un morceau de piano à un chant. Il répétait à ses élèves : « vous devez chanter, si vous voulez jouer du piano ». On pense forcément à respirer quand on chante. C’est moins évident quand on joue ! Schumann disait des Préludes de Chopin : « on les reconnaît jusque dans leurs silences ».

Un soir à Nohant, dans le Berry, chez George Sand, Chopin, Delacroix et le fils de Sand, Maurice, son élève de peinture, songent tout haut. Chopin est au piano. Mais il ne joue pas encore. La nuit tout autour délivre les parfums de l’été.
Delacroix s’exclame « tout est reflet » et Maurice réplique « et le reflet du reflet ? »
Delacroix s’écrie : « Diable ! Tu en demandes trop ! »  Et Chopin commence à improviser.
Mais il s’arrête.
« En bien, ce n’est pas fini ! » s’exclame Delacroix, déçu.
Chopin répond : « Ce n’est pas commencé. Rien ne me vient, rien que des reflets, des ombres, des reliefs qui ne veulent pas se fixer. Je cherche la couleur, je ne trouve même pas le dessin.
- Vous ne trouverez pas l’un sans l’autre », reprend Delacroix, « et vous allez les trouver tous les deux.
- Mais si je ne trouve que le clair de lune ? » hasarde Chopin.
«  Vous aurez trouvé le reflet d’un reflet » répond Maurice.
George Sand raconte :
« L’idée plaît à l’artiste, puis la note bleue résonne et nous voilà dans l’azur de la nuit transparente ».
Cette « note bleue » tente de qualifier le moment si souvent  insaisissable, retenu dans les lignes des portées, qui distingue une  composition banale d’un morceau venu de l’âme, ouvert sur la Beauté.

La note bleue c’est le départ d’une aventure dans l’Art. C’est la lumière du ciel quand il fait beau, c’est l’ouverture de la respiration, qui donne envie de tourner sur soi-même, ou de courir, ou de se mettre à chanter. Je me souviens, dans une période particulièrement douloureuse de ma vie, d’avoir fait un rêve une nuit. J’étais au sommet d’une colline et tout, la ville, le paysage, les collines lointaines, tout était bleu comme le ciel calme. Je me suis réveillée en murmurant « c’est bleu… je vais revivre… »

Une amie de Chopin, Madame Carlyle, disait que les œuvres de Chopin étaient « le reflet d’une partie de son âme ».

Mais qu’est-ce que l’âme ? Je garde encore le souvenir d’un curé qui aimait répéter « l’âme ? Connais pas ».
Chopin la sentait pourtant l’abandonner, son âme, et Schumann fut souvent le témoin d’une scène poignante :
«  C’était déjà un tableau inoubliable, de le voir assis au piano, pareil à un voyant perdu dans ses songes ; de voir comment le songe créé par lui se traduisait dans son jeu et comment, chaque morceau fini, il avait la funeste habitude de parcourir d’un doigt toute l’étendue du clavier gémissant comme pour se dégager puissamment de son songe ». 

Le cœur de Chopin est à Varsovie.

Mais Théophile Gautier, son frère en Romantisme, avait raison d’affirmer :

« L’âme de sa musique est passée sur le monde ».
Maison natale de Chopin à Zelazowa Wola, Pologne. Aquarelle de Monique Clavaud.


Par Monique Clavaud.