Un texte, une image, vous plait ? Vous souhaitez l'emporter et le partager pour votre plaisir personnel ? Pensez à l'auteur : n'oubliez pas l'endroit où vous l'avez trouvé, ni le nom de celui ou celle qui vous a offert du plaisir... et laissez un petit mot. Les auteurs aiment savoir que leur travail intéresse.
Vous souhaitez en savoir plus sur l'UERA ? Sur un auteur en particulier ? Visitez le site internet uera.fr
, le blog infos de l'association, ou les blogs personnels (liens à droite).

Tableaux en attente d'écrits UERA

jeudi 30 octobre 2014

Souvenir sur les Pentes

Rafle Place-Colbert 

La rafle s’est effectuée après que je suis rentré. Bien inspiré d’avoir accepté cette invitation des Bondet ! Toujours le même circus de la noria des paniers à salade qui s’annoncent par leur mélodie à deux tons, et gyrophares le parachutage sur l’asphalte de types bedonnants aux casques modèle 1954 à cimier en métal argenté qui ne portent la matraque que sur le côté du pantalon et non dedans et avec leurs lunettes anti-gaz. Et leurs aboiements censés impressionner.
En fait, le flic n’est redoutable qu’en meute. Peut-être une leçon à retenir pour quand nous lancerons l’insurrection. Renato a passé sa nuit au ballon, a de nouveau pianoté. Il me le reproche car il s’était amusé avec les autres à faire ronfler les brèles tout autour de la Place au lieu de ponctionner un vicelard. Même Guy Reynaud s’est trouvé pris dans la nasse. Les bourricots avaient encerclé la Place avec les véhicules rue Lemot et rue Mottet de Gérando par un mouvement convergent et coordonné digne de Bonaparte et avaient disposé un rang en haut de la montée Saint-Sébastien ainsi qu’un autre vers les escaliers de la rue du Général de Sève. Ils avaient même poussé le vice d’investir la traboule de la Cour des Voraces en la prenant rue Imbert- Colomès. Quand ils veulent, ils peuvent. Ils disposent de moyens pour ratisser la jeunesse turbulente comme ils n’osent plus cantonner le Nord-Af’ bientôt indépendant. Pour traquer la « délinquance juvénile » selon les termes des journaux télévisés, ils savent mettre le paquet. En attendant, les murs de la Croix-Rousse se couvrent de badigeons OAS vaincra avec le O dessiné en croix celtique. Pas impossible que François Pierzon en soit l’auteur ! Je reconnais les empattements qui transforment le symbole en presque une croix potencée. Peut-être envoie-t-il ainsi un clin d’œil ?

Par Alain Babanini.
Extrait de Faits-divers Accident Place Colbert, autoédition 2011.

jeudi 23 octobre 2014

Un jour à Funchal


C'est après une marche harassante à travers la forêt subtropicale, ouvrant notre chemin au coupe-coupe, échappant aux serpents et autres dangers venimeux, que soudain, s'ouvrit devant nos yeux émerveillés la vue sur un lac aux eaux de jade au bord duquel se dressait fièrement l'hôtel Monte Palace. Notre but, notre havre où nous allions pouvoir poser nos hardes et nous désaltérer. Hélas ! Il était fermé depuis de nombreuses années et nous dûmes repartir, trébuchants et hagards, à la recherche d'un autre refuge. Allons ! Funchal n'était qu'une dizaine de kilomètres plus bas... 
 
Ci-dessus : la version romancée. Ci-dessous, la vérité toute nue :

Seconde journée, visite du jardin tropical de Monte Palace, situé au sommet de la colline de Monte. On peut y accéder en téléphérique, ce que nous fîmes. Après avoir été la propriété d’éminents personnages, ce fut un hôtel avant qu’une fondation transforme ce domaine en « conservatoire végétal ».
La suite de l’histoire, c’est que nous pensions pouvoir rejoindre à pied le jardin botanique de Madère, situé quelques kilomètres en contrebas. Nous partîmes donc sous le cagna avant de nous apercevoir qu’une vallée profonde et escarpée nous empêcherait d’atteindre notre but. Nous aurions pu remonter et prendre le téléphérique, mais imprévoyants, nous n’avions plus assez de liquide pour payer les tickets. Nous étions donc partis pour nous taper dix bornes de descente abrupte et macadamesque lorsque nous tombâmes sur un bus dominical et salvateur.
Heureusement, nous avions prévu le ravitaillement : des « bolo do caquo » au chorizo, spécialité madérienne qui altère un peu l’haleine… Évidemment, j’aurais préféré une « espedata » (brochette de bœuf sur tige de laurier, cuite sur feu de bois), mais quand on est impécunieux, on se contente de bolo do caco.


Quelques précisions géographiques :

Madère est située en plein océan atlantique, à 660 km au large du Maroc (pratiquement en face d’Agadir) et à 1000 km de la métropole portugaise. Issue de l’émergence de volcans sous-marins, elle culmine à 1.860 m et ses montagnes quasi-verticales  couvertes de forêts tombent à pic dans l’océan… 
Funchal est la capitale de l’île, qui est une région autonome. Située à l’ouest de la côte sud, elle se développe sur le flanc d’une colline assez abrupte.

Par Jacques Morize

jeudi 16 octobre 2014

Promenade autour d'une rivière

La Saône



La vision des péniches, pleines, basses et à ras de l'eau en descendant la rivière, puis hautes et montrant toutes leurs coques noires et vides en sortant de la ville pour remonter vers le nord... Les péniches passant sur la Saône comptent parmi les plus lointains souvenirs de ma petite enfance. Nous habitions dans la proche banlieue de Lyon, une maison près de l'eau. Juste en face de la grille donnant accès au quai, se trouvait la passerelle qui traversait la rivière et menait à Fontaine s/Saône, l'image la plus marquante qui m'en reste est celui d'un matin de brouillard, où ma grande sœur me tenait la main, emmitouflés de bonnets et d'écharpes, nous marchions sur ce pont de bois dans la demi-obscurité de l'hiver pour nous rendre à l'école, à peine nous sentions le ronflement de l'eau passant sous nos pas, les maisons de Fontaine sortaient de la brume à mesure que nous avancions... Pourquoi ce souvenir est-il resté si net ? Pourquoi certaines images nous marquent-elles plus que d'autres ?        
Quelques temps après, cette passerelle a été détruite et remplacée par un vrai grand pont de pierre installé un peu plus loin. Quand aujourd'hui il m'arrive de passer entre Collonge et Fontaine, je ne peux m'empêcher d'aller vérifier les marques laissées à l'emplacement de cette ancienne passerelle, témoin d'un passé presque irréel. En effet, que reste-il aujourd'hui de cette France des années 50, encore pleine des meurtrissures de la guerre ? Quand je pense à ce temps-là, il me semble que je sors d'un rêve, non pas que cette époque était meilleure qu'aujourd'hui, mais la vie était si différente... Tout les gens autour de moi parlaient encore des années de guerre, dans ma tête de petit garçon, j'avais conscience d'arriver dans un monde venant de subir une grande épreuve que je venais de manquer, un peu comme si j'arrivais trop tard, juste à la fin d'un spectacle...

La Saône... Il lui arrive parfois de déborder et de faire quelques dégâts, non pas avec la violence et la cruauté d'un fleuve en colère, mais ses eaux paisibles passent au dessus des quais, noient les routes et les caves des maisons alentours, recouvrent les îles basses en laissant d'infâmes traces de boue... Cette rivière tranquille aime parfois faire preuve de caractère. C'était je crois en 1955 qu'elle a eu le caprice d'inonder toutes ses berges, et que cette gentille rivière s'est transformée en une sorte d'inquiétant bras de mer... nous ne distinguions plus ni les quais, ni les routes face à notre maison, nous voyions les maisons de Fontaine noyées sous les eaux. Notre chance à nous était d'être dans un endroit un peu plus surélevé, qui nous a préservé de tout dommage. Mais régulièrement, la Saône aime montrer sa force, cela ne dure que quelques jours, les gens qui vivent sur ses rives doivent le savoir et accepter de payer le prix de ses sautes d'humeur.

Quand je roule aujourd'hui sur la route qui sort de Lyon en longeant la Saône, il est difficile d'imaginer que passait ici le "train bleu", un petit omnibus monté sur des rails, semblable à un tramway de banlieue, comment ferait-il maintenant pour passer au milieu de tant de circulation ?  Et pourtant, je revois bien ce petit train, avec ses banquettes en bois, je me souviens de ses secousses et de ses arrêts brusques à chaque arrivée dans les stations. Dans ces années là, la "société de consommation" n'avait pas encore pris son essor et tout le monde n'avait pas sa voiture, ce gentil tramway de banlieue était à l'image des gens qu'il transportait : Un petit tortillard humble et honnête. C’est, je crois, en 1958 que sa fin a été décidé, nous avions changé d'époque, le "train bleu" est maintenant entré dans l'Histoire de la vie lyonnaise. 

Les quais de la Saône, la cathédrale St Jean, le Palais de Justice et ses immenses colonnes, les bouquinistes du quai de la Pêcherie... il y a là une similitude avec le vieux Paris, la Seine et la Saône ont des noms qui se ressemblent, l'étymologie est certainement la même, et d'ailleurs ne naissent-elles pas toutes les deux au même endroit ? Quand j'ai découvert Paris, les quais de la Seine avec leurs kiosques à fleurs et leurs bouquinistes, je me suis tout de suite senti chez moi... il y a aussi les mêmes bateaux-mouches qui traversent la cité. Cette ressemblance n'est pas fortuite et la traversée d'une rivière donne toujours de "l'intelligence" à une ville, car c'est au bord des fleuves que sont parties les idées et les richesses qui ont fait avancer les nations, c'est toujours au bord de l'eau que se sont bâtis les industries, les commerces et les universités... 

À l'angle du quai de Bondy et de la rue qui mène à la gare St Paul, se trouve un des plus beaux coins de Lyon, face aux larges trottoirs où se tient le marché de l'Art, on peut s'asseoir aux terrasses des cafés, et entendre battre le cœur de la ville, on se prend plein les yeux et les oreilles de l'esprit de la cité, on est ici entre le théâtre de Guignol et les "bouchons" qui ont fait la réputation de la cuisine locale. Face au quai, par delà la rivière, s'élève la grande église de St Nizier au milieu des belles maisons bourgeoises de la Presqu'Ile. Derrière le quai de Bondy, on sent toute la pression des vieux quartiers de St Jean et de St Paul, dominés par la colline de Fourvière - la colline qui prie -, et surtout, il suffit de regarder en face et contempler la Croix Rousse, - la colline qui travaille -, avec ses vieilles maisons aux couleurs ocre et pastel, on pourrait se croire dans un coin d'Italie, si ce n'était la teinte mélancolique du ciel lyonnais... Cette belle colline, avec son air à la fois digne, austère et populeux rappelle tout le passé de la ville, fait de souffrance, de travail et d'esprit frondeur, ici comme à Paris, le peuple a durement payé sa part de justice et de liberté...
C'est au bord de la Saône, bien plus que sur les rives du Rhône que l'on sent vivre Lyon, c'est ici que la ville est née.
Je suis un "gone " des bords de Saône, j’y reviens toujours, c'est mon identité, je l'ai trainé à travers le monde, on ne se débarrasse pas comme ça de ses origines.

Par Gérard Guillon.
Inédit. 

jeudi 9 octobre 2014

Frontières naturelles ?




Promenades macabres au fil du Rhône

Ces macabres promenades peuvent illustrer le caractère discutable d’une frontière aussi peu « naturelle » que le Rhône.

Vers 1960, à Lyon, les Algériens du FLN et du MNA réglaient volontiers leurs comptes de façon sanglante et les victimes étaient jetées à la Saône ou au Rhône. Ces macchabées vicieux allaient dans un cas comme dans l’autre atterrir  sur un banc de sable du fleuve, rive gauche face à Saint-Pierre-de-Bœuf.

La loi veut que la commune prenne en charge le cercueil et les obsèques de tout cadavre égaré sur son domaine mais le « hic » étaient que ce banc de sable appartenait à Saint-Pierre-de-Bœuf (Loire) avec unique accès par la rive  gauche iséroise. Facteur aggravant, pour franchir le fleuve, il fallait emprunter le pont amont arrivant dans le département du Rhône ou celui aval reliant Isère et Ardèche.

Tout cela n’eut pas été grave si une coutume aussi vieille que la délimitation des communes, plus exactement des paroisses alors, voulait que l’on acquitte une taxe à chaque sortie de paroisse ! Le franchissement des limites diocésaines justifiait une taxe plus rondelette encore. Le conseil municipal de Saint-Pierre s’est donc réuni à huis clos : il a décidé d’édifier une cabane sur le fameux banc de sable et d’y loger un clochard avec en contrepartie le devoir de pousser dans le courant du fleuve à l’aide d’une gaffe tout arrivant importun !

Dès mon plus jeune âge, on m’a inculqué la notion de « frontières naturelles », du « pré carré » cher à Vauban … dans l’hexagone. C’était beau mais c’était faux comme du Chateaubriand. Dix-huit mois au bord du fleuve Congo, voie de relation ancestrale pour les Bantous des deux rives transformée par les Occidentaux en frontière aussi peu naturelle que le vingtième parallèle ou que le Rhin séparant des cousins très germains, voire la crête des Pyrénées taillant à travers les terres catalanes ou basques, m’ont fait réviser ces notions. Plus amène que Léo Ferré, je n’irai cependant pas jusqu’à chanter « Merde à Vauban » !

Par Pierre Coeur.
Extrait de Mémento de l’Histoire du Dauphiné, éditions des Traboules, 2012.