En cette nuit de la Saint-Jean 1831, tout Lyon a revêtu ses habits de lumière, et particulièrement dans le quartier des pentes, où les Chartreux, Carmélites et autres sœurs de l'Annonciade, ont abondamment encouragé les manifestations festives autour des places, histoire de raffermir un peu la foi des habitants peu enclins à la ferveur religieuse... Au loin, le couchant se fonde avec les couleurs des feux allumés ici ou là dans chaque quartier. Une ville embrasée où les rondes endiablées réjouissent les enfants et le cœur des Croix-roussiens.
Du haut de la Montée des Carmélites, la vue est exceptionnelle sur la ville et l'on aperçoit au loin une immense torche, sans doute sur les berges du Rhône, flambeau dédié à ce couchant digne des Monts de la Sainte Baume couronnant les champs de lavande.
Déjà la lueur des réverbères caresse les façades, alternant avec les ombres des cours, ruelles, cascadant au fil des pentes. Dans ce dédale inextricable de murs, immeubles et silhouettes étirées des cheminées, les bottillons des femmes claquent sur les escaliers et les enfants on beau jeu de se faufiler à leur guise dans quelque repère ou traboule.
Vue des collines, la nuit, Lyon se serre les coudes. Voisins, voisines ont créé ce labyrinthe hostile à l'étranger, malgré la chaleur supposée de ces logements où les lampes à pétrole teintent ces petites fenêtres typiques sans volet, d'une lueur jaune orangée, trouant les façades et repoussant dans les arrière-cours la misère et l'infortune.
Pour les canuts ce soir, point de Saint-Jean, mais des yeux rivés sur les métiers à tisser, des yeux et des hommes usés, fatiguées, épuisés. La rumeur sourde cette nuit à Lyon. Le bruit de la révolte enfle et la rage fait claquer les métiers à tisser plus fort, obscurcissant d'un voile la beauté du crépuscule et des feux moribonds. Bientôt la nuit se fait plus noire, et ne résonnent plus que les claquements des métiers, couvrant les murmures qui se répandent.
Lyon pourrait bien s'embraser d'un autre feu, pour "Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant"".
Par Aïcha Chérif.
Texte écrit à l'occasion de l'exposition Plumes et pinceaux - 2 (2012) sur une huile de Macha Belsky.
Site de Macha Belsky.
Sur ce même tableau, lire aussi un texte de Monique Clavaud : La ville rêve qu'elle dévale.
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