En centre-ville, un air de Prévert...
Variation
Où vas-tu
Barbara,
Rue de Brest
Sous la pluie ?
Où cours-tu
Barbara,
Qui te presse
Ce samedi ?
Où fuis-tu
Barbara,
Sans cesse
Démunie ?
Par Norlane Deliz, in Dire ma terre, Le jardin de la Rose Bleue / UERA, janvier 2015.
Les auteurs et artistes de l'Union des Écrivains Rhône-Alpes vous invitent à la balade. Empruntez leurs chemins de mots et d'images, suivez leurs itinéraires, découvrez leurs regards... promenez-vous avec eux dans Lyon, sa région... et un peu plus loin !
Un texte, une image, vous plait ? Vous souhaitez l'emporter et le partager pour votre plaisir personnel ? Pensez à l'auteur : n'oubliez pas l'endroit où vous l'avez trouvé, ni le nom de celui ou celle qui vous a offert du plaisir... et laissez un petit mot. Les auteurs aiment savoir que leur travail intéresse.
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Tableaux en attente d'écrits UERA
- A vos écrits (2)
jeudi 26 février 2015
Au détour d'une rue
Libellés :
Lyon,
Norlane Deliz
jeudi 19 février 2015
Souvenirs du Japon
« Motomashi »
J'ai relevé le col de mon blouson, il
tombe une de ces petites pluies fines du mois de novembre. Je viens juste de
sortir de l'enceinte du port, je longe la grande avenue qui me mène au centre
ville, je vois les lumières blanches des voitures à travers le crachin et la
demi-clarté du jour finissant, le bruit de la circulation me fait comme un
bourdonnement dans les oreilles, j'ai hâte d'arriver à la petite place qui me
fera quitter ce quartier terne et blafard, semblable à tout les quartiers
maritimes du monde. Le port de Kobé ressemble à tout les grands ports que j'ai
vu autour de la terre, en ville les maisons ont l'air d'énormes cubes de
béton, strictes et sans aucune fantaisie.
Je peux enfin traverser cette grande
et bruyante avenue, en prenant bien garde d'attendre mon tour aux feux pour les
piétons... ici je ne suis pas en France !
J'aurais vraiment l'air d'un fou si je passais au milieu de la
circulation. Je suis à présent dans un endroit plus calme, la pluie continue de
tomber, quand je vois un parapluie s'ouvrir au-dessus de moi... Surprise ! Une
âme compatissante a eu pitié du petit jeune homme pressé et trempé que je suis,
et m'a mis à l'abri des intempéries sous son toit de tissus.
Nous marchons côte à côte… Elle a l'air si
gentille cette vieille dame ! Elle me regarde en riant, nous marchons sans
nous parler... "Un p'tit coin de parapluie contre un coin de paradis"... Ce simple geste me réchauffe le cœur autant qu'il me surprend…
Comment une vieille dame japonaise a pu avoir une telle réaction envers un
jeune occidental qu'elle ne connait pas ? Je n’imagine pas un Français avoir le
même comportement vis à vis d'un étranger.
Nous arrivons à l'entrée de Motomashi, je ne
peux que dire un des rares mots japonais que je connais : "Aligato !", je sais que cela veut dire "merci"... la brave dame me
sourit, toute la gentillesse et la malice du monde se lisent dans son regard,
elle ne m'a pas dit une parole, mais j'ai gardé pour toute ma vie la lumière et
la bonté de son visage, elle baisse la tête cérémonieusement et s'en va à
petits pas le long du trottoir... J'ai imprimé pour toujours ce moment de
bonheur.
Motomashi... Une grande rue couverte
au milieu de la ville, parcourue par une foule toujours en mouvement, elle
attire les marins comme la lumière attire les insectes, on y trouve toutes
sortes de commerces: pharmacies, marchands de quatre saisons, fleuristes,
magasins d'audio-visuels où vont les navigateurs étrangers et des restaurants.
C'est là, dans une boutique de spiritueux, que j'ai découvert le "Suntory" et le "Nikka", deux très bons whiskies japonais beaucoup
moins chers que le "Johny Walker" et autres boissons maltées
anglo-saxonnes, on pouvait aussi y acheter des cognacs et des alcools français,
mais à des prix décourageants.
Je me souviens du grand "Mac Do" qui semblait éclipser tout les autres commerces, cet endroit
m'impressionnait, je n'avais vu ce type de restaurant qu'en Amérique et en
Angleterre... se souvient-on encore que les " fast food " étaient rares
en France dans les années 70 ?
Les Japonais aiment bien voir ce
qu'ils mangent avant de le commander, c'est pourquoi on trouve à l'entrée des
restaurants une reproduction en cire des plats proposés à la clientèle, avec le
numéro correspondant à celui marqué sur le menu. Je trouve cela de mauvais
goût... Imagine-t-on un plat de choucroute en cire devant la porte de la
taverne de Maitre Kanter ? Peut-on concevoir une bouillabaisse en plastique à
l'entrée d'un restaurant du Vieux Port ? Autres pays, autres mœurs... Le voilà,
le choc des cultures.
Les Japonais aiment particulièrement
les fleurs, sûrement que l'imposant décor urbain qui les environne leur donne
un besoin de nature et une soif de beauté champêtre. Les trois "villes
sœurs" qui se suivent tout le long de la baie : Kobé, Nagoya, Osaka, sont
parsemées de petits parcs et de roseraies qui rendent supportable ce paysage de
gros buildings, d'autoroutes et de tours en béton. Il est d'ailleurs amusant de
voir comment dans les films japonais pour enfants - vus aussi par les enfants
de France - cette ambiance à la fois urbaine et fleurie est bien reproduite et
fait "sentir" le cadre de vie des Nippons.
Je ne peux pas parler de fleurs sans penser à ma tendre amie - petite
fille perdue dans la grande ville - je ne
crois pas avoir connu quelqu'un qui les aimait autant : Eiko chez une fleuriste
achetant un bouquet pour les offrir à sa patronne, la bonne Madame Subaru, Eiko
respirant des roses dans un jardin d'Osaka, Eiko prise en photo habillée d'un
kimono au milieu des glycines, Eiko me dessinant de grandes fleurs dans ma
cabine... Le grand imbécile que j'étais n'a même pas su conserver ces
témoignages de tendresses si simples et si sincères !
La nuit est tombé sur Motomashi, il
est temps de quitter la grande artère et de se diriger vers les ruelles
transversales... Ici pas de néons vulgaires, pas de musique violente, on trouve
des petits bars confortables et discrets, la musique "jazzy" que
l'on y diffuse vous incite à ne pas parler trop fort. J'étais un soir attablé
avec des marins Italiens, notre conversation "entre latins" a dû
paraitre trop sonore, on est venu nous faire comprendre gentiment qu'il nous
fallait parler plus bas afin de ne pas troubler l'ambiance du lieu. Le tout,
dit avec un grand sourire...
C'est ici que l'on trouve des filles, des vulgaires et des jolies,
certaines veulent venir à bord, d'autres pas, c'est un peu à la tète du client,
en tous cas, il faut savoir être persuasif et patient, on a toujours
l'impression que ces "dames" nous font une faveur quand elles
veulent venir.
Nostalgiques souvenirs des petits bars
de "Motomashi" ! Nous
n'étions pas obligés de consommer trop souvent et nous pouvions rester parler
entre marins jusqu'à tard dans la nuit... J'ai aimé cet officier Ecossais qui me
parlait de son cancer de la gorge, il me parlait avec une voix presque
inaudible et savait qu'il faisait là son dernier voyage avant de mourir. Je n’ai
pas oublié ces Philippins qui m'ont dit être restés huit mois dans le port de
Valparaiso sans argent ni courrier, parce que leur armateur les avaient "oubliés" là-bas... Et puis la belle nuit passée à enregistrer les chansons
du juke-box chez Mm Subaru, elle était
partie en nous laissant les clés, nous n'étions plus que nous deux, Eiko et
moi, nous nous sommes endormis dans les fauteuils du bar... Nuit magique !
Motomashi... Je n'oublierai jamais ce
grand tunnel de verre au milieu de Kobé, j’y ai marché parfois seul, mais
souvent accompagné de ma douce copine, je revois le grand magasin
d'audio-visuel où j'ai acheté ma première radio FM, les épiceries où l'on vend
les fruits et légumes dans des barquettes toutes prêtes à être emportées, plus
loin c'est la petite boutique de mode où je lui ai offert des chaussures, et
puis surtout... Eiko au milieu d'un magasin de fleurs qui me regarde et me
sourit...
Par Gérard Guillon.
Inédit.
Libellés :
A côté de... ou plus loin,
Gérard Guillon
jeudi 12 février 2015
Tribulations sur les Pentes
Mes pas m’ont emmené aux
Terreaux. Sans m’en rendre compte, j’ai emprunté la rue Justin-Godard et la
montée Bonnafous. Qu’est-ce que je fous là dans les traces du scout avide
d’expériences de chimie avec François Pierzon ? Et pourquoi, je traboule jusqu’au
quai sinon pour me rappeler la petite chatte si soyeuse que j’y
découvris ? Quelle raison me pousse à arpenter ce quai où je drague les
messieurs habituellement jusqu’à la Place des Terreaux ? Ce premier
rendez-vous avec Danielle ?
Me voilà bien avancé maintenant.
Il me faut me retaper toute la montée jusque chez moi en évitant vers chez
Ghyslaine qui risque bien d’avoir quitté la fiesta peu après moi. Elle ne s’y
marrait pas des masses, ni Patricia que j’ai négligée tout au long de la soirée
alors que ça aurait bien pu s’accorder, elle et moi. Je ne l’avais pas revue
depuis le 17 août.
La paranoïa qui s’empara de moi
après une des expéditions s’ajoute à mon tourment existentiel : quelqu’un
me suit que je n’arrive à surprendre malgré mes arrêts brusques, mes
volte-faces soudaines. Un ancien harponné, un flic ? un de la bande
bigleux qui voudrait me faire un mauvais sort ? Je me trouve vers la gare
de la ficelle Croix-Pâquet, fermée à cette heure-ci. Dans la rue, à droite, la
cartonnerie et plus haut à gauche l’atelier de l’ancien mec de Éliane. On voit
encore que les murs ont noirci autour des fenêtres. Deux options : par la
rue Burdeau et la Place Chardonnet ou la montée Saint-Sébastien par où je
traboulerai vers la Place Colbert. Celle que je choisis comme attiré par mes
propres pas de jadis.
La cour des Voraces et son
impressionnant escalier de pierre rappelle un juste combat : celui de la
lutte contre le renchérissement du vin quand les bistroquets ont voulu changer
la bouteille de 1,04 l par le pot de 48 cl grâce à l’instauration d’une
coopérative de fourniture et distribution du picrate.
Le pot, d’ailleurs, a perdu
encore 2 cl. Mais comme dit Mémé : « Les petits ruisseaux font les
grandes rivières. »
La Place est bordée sur trois
côtés d’immeubles à cinq étages, construits entre 1840 et 1850 pour loger les
canuts et leurs métiers m’avait dit Pépé pour qui rien de l’histoire de la
corporation n’était étranger surtout pas l’épisode de la révolte de novembre
1831. Le canut, il ne faut pas trop l’emmerder : il prend le coup de sang
régulièrement. Après 1831, 1834, 1848 et 1849. Peu doué pour retenir des
paroles de chansons, celle emblématique du quartier me permet de m’en tirer
lorsqu’on me réclame d’en pousser une sur l’air des lampions. « Martinaud,
une chanson ! Martinaud, une chanson ! » La main sur le cœur, je
trémole : Pour chanter Veni Creator, il faut avoir chasuble d’or,(bis)
Nous en tissons pour vous, Grands de l’Église, et nous, pauvres canuts, n’avons
pas de chemise. La suite, tout le monde la sait et reprend en chœur : C’est nous les
canuts, nous allons tout nus !
Le 6 s’y arrête. À cet
arrêt, mon cœur reprenait son fonctionnement normal. Combien de fois j’ai cru
gerber dans les lacets avant d’arriver sur la Place ? Bien sûr, la ficelle
va au plateau sans à-coups ; je la privilégie quand je monte au quartier à
partir des Terreaux quitte à marcher un peu pour rentrer à la maison mais si
l’on décide de prendre un trolley vers le Prisunic de la Guillotière, il
faut se coltiner les virages à angles droits dès la Place Chardonnet. Le type
dans sa cage grillagée descend trois fois sur quatre remettre les perches qui
ont déraillé. Les copains de la bande aiment à tourner autour du trolley avec
leurs brèles pétaradantes ce qui occasionne d’intempestifs coups de freins à
faire valdinguer les mémés à cabas.
Ça pitte-patte dans mes endosses ! À n’en pas douter. À
galoches, que veux-tu comme je l’ai écrit dix fois à l’occasion des dictées
quotidiennes. Celle-là…Maurice Fombeure ! Le « moyen », le
« bon », le « passable » qu’ils étaient catalogués les
écoliers dans la poésie. Ça cliquète talon nerveux, pas croquenot de plouc ou
talon usé en biais de la bottine. Patricia porte de ces sandales légèrement
surélevées. Mais elle ne se serait pas farci toutes mes pérégrinations pour
dessoûler seulement pour le plaisir d’admirer mes fesses que d’aucunes disent
telles des pommes. Elle serait ce suiveur anonyme qu’elle raconterait aux
générations futures avoir parcouru la zone de la saga de Rémi Martinaud, des
cités de la rue Henri Chevalier jusqu’à la Place Colbert via la Grande-Rue et
le quai. Manque à l’appel, le bas du boulevard. Justement l’endroit maléfique
que je ne veux évoquer. En quinze ans, j’ai parcouru quoi ? un
kilomètre ? Pas plus que mes parents, en définitive. Nés et morts dans le
quartier.
Par Alain Babanini.
Extrait de Faits-divers Accidents Place Colbert, autoédition, 2011.
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