« Motomashi »
J'ai relevé le col de mon blouson, il
tombe une de ces petites pluies fines du mois de novembre. Je viens juste de
sortir de l'enceinte du port, je longe la grande avenue qui me mène au centre
ville, je vois les lumières blanches des voitures à travers le crachin et la
demi-clarté du jour finissant, le bruit de la circulation me fait comme un
bourdonnement dans les oreilles, j'ai hâte d'arriver à la petite place qui me
fera quitter ce quartier terne et blafard, semblable à tout les quartiers
maritimes du monde. Le port de Kobé ressemble à tout les grands ports que j'ai
vu autour de la terre, en ville les maisons ont l'air d'énormes cubes de
béton, strictes et sans aucune fantaisie.
Je peux enfin traverser cette grande
et bruyante avenue, en prenant bien garde d'attendre mon tour aux feux pour les
piétons... ici je ne suis pas en France !
J'aurais vraiment l'air d'un fou si je passais au milieu de la
circulation. Je suis à présent dans un endroit plus calme, la pluie continue de
tomber, quand je vois un parapluie s'ouvrir au-dessus de moi... Surprise ! Une
âme compatissante a eu pitié du petit jeune homme pressé et trempé que je suis,
et m'a mis à l'abri des intempéries sous son toit de tissus.
Nous marchons côte à côte… Elle a l'air si
gentille cette vieille dame ! Elle me regarde en riant, nous marchons sans
nous parler... "Un p'tit coin de parapluie contre un coin de paradis"... Ce simple geste me réchauffe le cœur autant qu'il me surprend…
Comment une vieille dame japonaise a pu avoir une telle réaction envers un
jeune occidental qu'elle ne connait pas ? Je n’imagine pas un Français avoir le
même comportement vis à vis d'un étranger.
Nous arrivons à l'entrée de Motomashi, je ne
peux que dire un des rares mots japonais que je connais : "Aligato !", je sais que cela veut dire "merci"... la brave dame me
sourit, toute la gentillesse et la malice du monde se lisent dans son regard,
elle ne m'a pas dit une parole, mais j'ai gardé pour toute ma vie la lumière et
la bonté de son visage, elle baisse la tête cérémonieusement et s'en va à
petits pas le long du trottoir... J'ai imprimé pour toujours ce moment de
bonheur.
Motomashi... Une grande rue couverte
au milieu de la ville, parcourue par une foule toujours en mouvement, elle
attire les marins comme la lumière attire les insectes, on y trouve toutes
sortes de commerces: pharmacies, marchands de quatre saisons, fleuristes,
magasins d'audio-visuels où vont les navigateurs étrangers et des restaurants.
C'est là, dans une boutique de spiritueux, que j'ai découvert le "Suntory" et le "Nikka", deux très bons whiskies japonais beaucoup
moins chers que le "Johny Walker" et autres boissons maltées
anglo-saxonnes, on pouvait aussi y acheter des cognacs et des alcools français,
mais à des prix décourageants.
Je me souviens du grand "Mac Do" qui semblait éclipser tout les autres commerces, cet endroit
m'impressionnait, je n'avais vu ce type de restaurant qu'en Amérique et en
Angleterre... se souvient-on encore que les " fast food " étaient rares
en France dans les années 70 ?
Les Japonais aiment bien voir ce
qu'ils mangent avant de le commander, c'est pourquoi on trouve à l'entrée des
restaurants une reproduction en cire des plats proposés à la clientèle, avec le
numéro correspondant à celui marqué sur le menu. Je trouve cela de mauvais
goût... Imagine-t-on un plat de choucroute en cire devant la porte de la
taverne de Maitre Kanter ? Peut-on concevoir une bouillabaisse en plastique à
l'entrée d'un restaurant du Vieux Port ? Autres pays, autres mœurs... Le voilà,
le choc des cultures.
Les Japonais aiment particulièrement
les fleurs, sûrement que l'imposant décor urbain qui les environne leur donne
un besoin de nature et une soif de beauté champêtre. Les trois "villes
sœurs" qui se suivent tout le long de la baie : Kobé, Nagoya, Osaka, sont
parsemées de petits parcs et de roseraies qui rendent supportable ce paysage de
gros buildings, d'autoroutes et de tours en béton. Il est d'ailleurs amusant de
voir comment dans les films japonais pour enfants - vus aussi par les enfants
de France - cette ambiance à la fois urbaine et fleurie est bien reproduite et
fait "sentir" le cadre de vie des Nippons.
Je ne peux pas parler de fleurs sans penser à ma tendre amie - petite
fille perdue dans la grande ville - je ne
crois pas avoir connu quelqu'un qui les aimait autant : Eiko chez une fleuriste
achetant un bouquet pour les offrir à sa patronne, la bonne Madame Subaru, Eiko
respirant des roses dans un jardin d'Osaka, Eiko prise en photo habillée d'un
kimono au milieu des glycines, Eiko me dessinant de grandes fleurs dans ma
cabine... Le grand imbécile que j'étais n'a même pas su conserver ces
témoignages de tendresses si simples et si sincères !
La nuit est tombé sur Motomashi, il
est temps de quitter la grande artère et de se diriger vers les ruelles
transversales... Ici pas de néons vulgaires, pas de musique violente, on trouve
des petits bars confortables et discrets, la musique "jazzy" que
l'on y diffuse vous incite à ne pas parler trop fort. J'étais un soir attablé
avec des marins Italiens, notre conversation "entre latins" a dû
paraitre trop sonore, on est venu nous faire comprendre gentiment qu'il nous
fallait parler plus bas afin de ne pas troubler l'ambiance du lieu. Le tout,
dit avec un grand sourire...
C'est ici que l'on trouve des filles, des vulgaires et des jolies,
certaines veulent venir à bord, d'autres pas, c'est un peu à la tète du client,
en tous cas, il faut savoir être persuasif et patient, on a toujours
l'impression que ces "dames" nous font une faveur quand elles
veulent venir.
Nostalgiques souvenirs des petits bars
de "Motomashi" ! Nous
n'étions pas obligés de consommer trop souvent et nous pouvions rester parler
entre marins jusqu'à tard dans la nuit... J'ai aimé cet officier Ecossais qui me
parlait de son cancer de la gorge, il me parlait avec une voix presque
inaudible et savait qu'il faisait là son dernier voyage avant de mourir. Je n’ai
pas oublié ces Philippins qui m'ont dit être restés huit mois dans le port de
Valparaiso sans argent ni courrier, parce que leur armateur les avaient "oubliés" là-bas... Et puis la belle nuit passée à enregistrer les chansons
du juke-box chez Mm Subaru, elle était
partie en nous laissant les clés, nous n'étions plus que nous deux, Eiko et
moi, nous nous sommes endormis dans les fauteuils du bar... Nuit magique !
Motomashi... Je n'oublierai jamais ce
grand tunnel de verre au milieu de Kobé, j’y ai marché parfois seul, mais
souvent accompagné de ma douce copine, je revois le grand magasin
d'audio-visuel où j'ai acheté ma première radio FM, les épiceries où l'on vend
les fruits et légumes dans des barquettes toutes prêtes à être emportées, plus
loin c'est la petite boutique de mode où je lui ai offert des chaussures, et
puis surtout... Eiko au milieu d'un magasin de fleurs qui me regarde et me
sourit...
Par Gérard Guillon.
Inédit.
Trop beau ! c'est simple et plein de charme. Vous avez vécu au Japon ? Ou simple séjour ?
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