[...] Erell va faire
son marché. Des SDF, il y en a beaucoup dans le quartier. Un homme de 35-40
ans, correctement vêtu, est installé sur un pliant. Sur un panneau posé à ses
pieds, il a écrit : je suis en
difficulté. Il ne regarde pas les passants, il achève la lecture d’un
énorme bouquin de 2000 pages. Un autre homme, style manouche, cheveux poivre et
sel, chante en s’accompagnant à la guitare. Son énergie joyeuse met de la bonne
humeur sur le marché. Passe devant lui une vieille sorcière du quartier qui
maugrée : « Si c’est pas une honte, étranger, et ça ne travaille
pas ! » Lui n’entend pas la vieille, il chante. Erell lui donne un
euro, ils échangent un sourire. Sur le boulevard, entre deux stands
d’alimentation, un enfant handicapé de 12 ou 13 ans, assis à même le trottoir,
se balance d’avant en arrière ; de temps en temps, il crie et se roule par
terre puis subitement se redresse et tend un chapeau.
- C’est malheureux, dit le marchand primeur, il est là tous les matins. Des hommes le déposent et vont au bistrot en attendant de ramasser le produit de la quête. La police municipale passe régulièrement devant lui : R A S.
Dans les rues en pente, les murs sont couverts de graffitis et de textes. « J’ai vendu mon ordinateur pour 50 kilos de riz », a noté quelqu’un, d’une belle écriture d’instituteur, propre et nette. Qu’a-t-il voulu dire ? Un autre a bombé : « En raison de l’indifférence générale, demain est annulé ». Erell sort son calepin pour copier la phrase, elle l’enverra au « crieur public ». Sur le plateau, un marchand de vin appelle sa boutique Vinétarium. L’habillage scientifique nuit au goût, pense-t-elle ; je préfère acheter mon vin chez un caviste. Sur les vitres d’un magasin somptueux, on lit : Commerce équitable – bio – solidaire. Il marie la vitre, la pierre et les bois précieux et présente des thés de Chine dans des emballages raffinés. On dirait une exposition minimaliste dans un musée d’art contemporain. Elle se souvient de son enfance : il y a cinquante ans, les murs de ce quartier étaient uniformément noirs, comme le bitume, et transpiraient l’humidité. La fumée du charbon teintait le brouillard, les rues et les places étaient jonchées de crachats, de papiers gras, de journaux, peaux de bananes, de petites boites rondes et métalliques de tabac à priser ou chiquer, d’épluchures de cacahuètes. Aujourd’hui, le nettoyage urbain est quotidien. Arroseuses, balayeuses, aspirateurs, appareils à souffler sur les feuilles (et à déchirer les tympans) font la ronde. Nous vivons dans un pays riche, qui n’a jamais vu autant de riches… ni autant de pauvres ! Les SDF transportent leur garde-robe dans les solides sacs de Carrefour, verts comme l’herbe, ornés du slogan : « Agir aujourd’hui pour mieux vivre demain ». [...]
- C’est malheureux, dit le marchand primeur, il est là tous les matins. Des hommes le déposent et vont au bistrot en attendant de ramasser le produit de la quête. La police municipale passe régulièrement devant lui : R A S.
Dans les rues en pente, les murs sont couverts de graffitis et de textes. « J’ai vendu mon ordinateur pour 50 kilos de riz », a noté quelqu’un, d’une belle écriture d’instituteur, propre et nette. Qu’a-t-il voulu dire ? Un autre a bombé : « En raison de l’indifférence générale, demain est annulé ». Erell sort son calepin pour copier la phrase, elle l’enverra au « crieur public ». Sur le plateau, un marchand de vin appelle sa boutique Vinétarium. L’habillage scientifique nuit au goût, pense-t-elle ; je préfère acheter mon vin chez un caviste. Sur les vitres d’un magasin somptueux, on lit : Commerce équitable – bio – solidaire. Il marie la vitre, la pierre et les bois précieux et présente des thés de Chine dans des emballages raffinés. On dirait une exposition minimaliste dans un musée d’art contemporain. Elle se souvient de son enfance : il y a cinquante ans, les murs de ce quartier étaient uniformément noirs, comme le bitume, et transpiraient l’humidité. La fumée du charbon teintait le brouillard, les rues et les places étaient jonchées de crachats, de papiers gras, de journaux, peaux de bananes, de petites boites rondes et métalliques de tabac à priser ou chiquer, d’épluchures de cacahuètes. Aujourd’hui, le nettoyage urbain est quotidien. Arroseuses, balayeuses, aspirateurs, appareils à souffler sur les feuilles (et à déchirer les tympans) font la ronde. Nous vivons dans un pays riche, qui n’a jamais vu autant de riches… ni autant de pauvres ! Les SDF transportent leur garde-robe dans les solides sacs de Carrefour, verts comme l’herbe, ornés du slogan : « Agir aujourd’hui pour mieux vivre demain ». [...]
Par Monique Douillet.
Extrait du roman Après le onze mars, éditions Langlois Cécile, septembre 2013.
Extrait du roman Après le onze mars, éditions Langlois Cécile, septembre 2013.
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