Arles, mardi 17 mai 2011
(quelques instantanés)
Shoko vient de retenir un petit
appartement de deux pièces avec accès à la terrasse sur le toit, au troisième
étage d’un immeuble qui donne sur la place du forum, le cœur de la ville, si
l’on peut parler de ville. Arles est un bourg.
Pendant que Shoko va signer le
bail, Erell arpente les vieux quartiers à pic qui
mènent aux Arènes. Elle lit : Rue du
refuge, rue du four qui passe, rue de la grotte… Un homme marche avec des
cannes-béquilles, il sort du passage des Ursulines
et traverse une cour qui n’a pas changé depuis Van Gogh.
« J’ai fait mon tour, lance-t-il à une
dame âgée qui se risque hors de chez elle. La chaleur en cette fin d’après-midi
de mai reste caniculaire.
— Vous êtes bien courageux, lui répond la
petite dame qui porte des charentaises, un tablier chamarré et de grosses
boucles d’oreilles en or.
— Approchez-vous, dit l’homme, je vais vous dire franchement la vérité. Je
vous ai connue “ avant ”. Vous étiez une dame charmante ».
Des
pigeons volent dans la ruelle ombragée, deux marcheurs nordiques, munis de
gourdes d’eau, avancent en jouant des coudes. Un chat gris, botté de blanc à la
démarche chaloupée, traverse délicatement la rue Trissemoutte. Il entre dans une belle maison de ville agrémentée de
vigne grimpante.
En
descendant en direction de la place Voltaire, elle remarque une ardoise qui annonce :
2, 50 € la bouteille d’eau fraîche au bar de l’Amphithéâtre. Suit une
kyrielle de commerces aux noms exotiques : Blue Note, Pizza-Burger, Le
Pitchounet. Un Africain a dressé son stand de
lunettes, colliers, bretelles et autres objets utiles, sur le trottoir. Il
porte un pull à col roulé jaune, une chemise d’hiver de velours côtelé rouge
par dessus, et encore par-dessus une veste de pêcheur. Il a un bob sur la tête.
Erell
s’installe sur la terrasse du Narval,
un homme, chauve comme un moine de camembert, boit sa bière à petites gorgées.
Les traits burinés, le menton en galoche, le visage hâlé, la tenue de ville
impeccable ; il a de la méticulosité dans les gestes. Le petit train
touristique passe, coin coin, juste
le temps de noter une capeline jaune-canari à larges bords. Ce soir, elles sont
invitées à Marseille chez son ami le libraire.
Erell
termine son Pac à l’eau et reprend sa
marche. Dans la rue Portagnel, un
figuier est installé sur le chapiteau baroque d’une maison bourgeoise, ses
branches courent sur la façade et desservent en feuilles et en fruits les
fenêtres de l’étage. Les maisons étroites s’alignent approximativement, ventres
creux ou bombés, le long des rues qui biaisent pour détourner le cours du
Mistral. Elle pense au bonheur de jouir d’une terrasse avec vue sur les
platanes et les clochers d’Arles, la
ville aux cent clochers. À la sortie des remparts, elle découvre le Rhône
étale et majestueux, couleur d’étain à cette heure. Son Rhône. À Lyon, le
fleuve est plus rapide et souvent d’un vert phosphorescent. N’importe. Là où
coule le Rhône, elle est chez elle.
Shoko
l’attend devant la gare, elle dit à Erell qu’elle n’a pas terminé ses
démarches, elle prendra un prochain train. Elle a été obligée de venir
jusqu’ici pour l’avertir. « J’ai déjà essayé dix fois de te convaincre de
t’équiper d’un téléphone portable, au moins à carte, tu vois bien que ça rend
service dans certaines occasions », mais elle sait que sur ce sujet son
amie est résolue à faire de la résistance.
Par Monique Douillet.
Extrait de Après le onze mars, éditions Langlois Cécile, septembre 2013.