Elle était de
bois lourd, sombre, avec une grosse serrure de fer. Chaque jour, l’enfant
venait y poser sa main, explorant les fissures, caressant la matière. Souvent, pour
qu’il rentre manger, il fallait venir le chercher. Ne pouvant ouvrir cette
porte, l’enfant collectionnait les clefs.
Puis il était
parti loin, pour une vie d’adulte : une femme, deux enfants, une bonne santé,
un travail de cadre moyen. Il courait après le temps et vivait constamment dans
une sorte de conflit, tension intérieure et muette. Dans une routine installée,
les enfants grandissaient, le temps des rêves s’étiolait.
Un mardi, une lettre le surprît.
Elle provenait d’un notaire du
Lot. Elle disait qu’un monsieur Arthus lui léguait des biens et qu’il était
invité à se faire connaitre pour rentrer en possession de cet héritage.
Alexandre prit rendez-vous avec
une secrétaire laconique à l’accent chantant, acheta un billet de train,
réserva un hôtel dans une petite ville du sud-ouest.
La veille de la rencontre, il se
rendit en gare d’Austerlitz, direction Gourdon. Le trajet durait cinq
heures ; on traversait le Cher, l’Indre, la Creuse, la Haute-Vienne, la
Corrèze, le Lot. Tout un voyage à travers la campagne française !
Il croisa Vierzon et se souvint
de cette chanson de Brel que son père aimait écouter. Dépassant Châteauroux, il
se raconta l’histoire d’un prince, amoureux d’une chevelure flamboyante. Maisons
et champs se succédaient, le train poursuivait sa route. Argenton sur creuse
lui donna envie de descendre ; La souterraine était un drôle de nom de
ville. Le paysage défilait. Limoges lui parla porcelaines, bien sûr. Et il
chantonna pour lui-même ces mots de Benabar : « avec tes rêves de
midinette et ton cœur d’artichaut, t’es une porcelaine dans un magasin
d’éléphants ». De gare en gare, il approchait. Uzerche était un morceau
d’enfance ; Brive existait dans sa mémoire entre salon littéraire et
rugby ; Souillac sonnait « chaleur et Dordogne ». Gourdon, son
point d’arrivée, était une cité médiévale bâtie sur les hauteurs.
Descendant, un peu groggy, il
rejoignit l’hôtel. Lorsque la charmante hôtesse d’accueil lui tendit la carte
magnétique de sa chambre, il eut un pincement de cœur. Sa main aurait voulu
tenir, sentir, le métal d’une clef.
Toute la nuit, accompagné par le
hululement d’une chouette, il chercha dans sa mémoire des traces de ce monsieur
Arthus qui lui léguait ce mystère. Il conclut qu’il devait s’agir d’une erreur.
Un peu avant dix heures, le
lendemain, Alexandre traversa les saveurs colorées d’un marché et pénétra dans
une grande bâtisse sans colombages. Il attendit quelques minutes dans le
cliquetis d’un clavier d’ordinateur.
Le notaire était un bon vivant.
Il le pria de s’asseoir dans un fauteuil confortable et lui offrit un verre de
jus de pomme. Il lui raconta qu’un vieux monsieur sans descendance venait de
mourir et que cet homme avait choisi de lui donner ses biens : une maison
à Uzerche. « Mais je ne connais pas de monsieur Arthus ! »
murmura Alexandre, autant pour lui-même que pour le notaire. « Peut-être
l’avez-vous rencontré sans le savoir » répondit ce dernier avec le sourire
de celui qui fait une bonne blague. « Vous avez bien vécu là-bas, n’est-ce
pas ? ». Devant le silence d’Alexandre, il rajouta :
« monsieur Arthus était un ami. Je peux vous assurer qu’il avait une
raison de vous léguer tout ceci. Mais je ne peux vous en dire plus, je lui ai
promis. La maison devrait vous aider à comprendre. Voici les clefs. Et les
papiers qui font de vous le propriétaire. Signez ici, et là,
voulez-vous ? »
Alexandre, sonné, signa ce qu’on
lui demandait.
Certains se seraient précipités à
la découverte de cette maison tombée du ciel, lui rentra à Paris.
Ses enfants ne comprirent pas
cette réserve. Enthousiastes, ils échafaudèrent hypothèse sur hypothèse.
Alexandre reprit le train
quelques jours plus tard. Toujours abasourdi, il retrouvait un paysage
d’enfance et secouait la poussière accumulée dans sa mémoire.
La maison comptait deux étages et
huit fenêtres sur sa façade principale. En tremblant, il ouvrit la porte et constata
que la maison n’avait pas été vidée, à l’exception de quelques meubles ici ou
là. Ce M. Arthus lui avait tout donné. Il traversa rapidement le rez-de-chaussée
et se retrouva dans le jardin : un parc arboré qu’il arpenta fébrilement.
Dans un morceau de mur assailli d’herbes folles, il rencontra une porte en bois
sombre, lourd, avec une grosse serrure de fer. Alexandre posa une main, explora
les fissures, caressa la matière… et pleura. Dans son autre main, il tenait la
clef de cette porte qui l’avait fasciné tant d’années.
Il se mît à explorer les étages et s’arrêta perplexe dans une grande pièce
pleine de livres. Perplexe et joyeux. Il
se sentait comme un gamin découvrant un trésor ! Le palais de M. Arthus le
garda longtemps entre ses murs.
Plusieurs mois passèrent.
Alexandre ne se décidait pas à vendre. Les enfants pensaient avoir gagné une
maison de vacances où faire la fête. Sa femme le laissait choisir : ce
bien était à lui.
De nombreux week-ends, il tria,
rangea, nettoya, lut.
Un matin, il démissionna de son
poste d’adjoint du responsable achats.
Sur le mur de la maison d’Uzerche
s’accrochait désormais une enseigne :
Porte, ouvre-toi !
Librairie.
Par Norlane Deliz.
Texte paru dans la revue Etoiles d'encre n°53-54, "Nos maisons", mars 2013, éditions Le chèvrefeuille étoilée.
Texte paru dans la revue Etoiles d'encre n°53-54, "Nos maisons", mars 2013, éditions Le chèvrefeuille étoilée.
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