Nous étions
vingt et quatre, à attendre, dans la ville caniculaire,
Vingt et
quatre, au milieu de la foule lyonnaise, comme dans un désert,
Espérant
rencontrer le petit Prince, au détour d'un chemin,
Comme
Vladimir et Estragon, dans la prose de Beckett, en ce matin,
Où Dimitri
commençait les tribulations d'une journée rocambolesque.
Elle commença
par un départ tardif, sous un soleil de plomb,
Nous
préparant à nous recueillir devant le caveau d'un aviateur.
Des amis à
lui, dans un hommage émouvant, ont coloré le ciel
D'un panache
tricolore. La patrouille de France à l'entraînement,
Prouva à
tous quelle maîtrise on peut avoir de son appareil.
Saint-Exupéry,
à Saint-Maurice de Rémens, aima, sans pareille,
La terre des
hommes natale, son parc, son domaine,
A qui, par
passion, une association rendra bientôt son âme.
Le petit
prince nous sourit, au dessus de la chapelle familiale.
Jacques, au
nom de l'UERA, souscrivit d'un commun accord,
Une adhésion
en mémoire de l'ami d'un renard au coeur d'or.
Le petit
prince terrestre, qui hantait ces lieux, n'empêcha pas
Qu'un voleur
de livres ne dérobât argent et romans, mal gardés,
Dans le bus
qui nous permit de faire connaissance, au cours de la journée.
Nous étions
vingt et cinq, à présent. Dimitri et ses muscles tatoués,
Ayant
souffert avec nous, devint notre compagnon de tablée.
Les routes
sinueuses et la chaleur accablante,
Rendirent
cette épopée poignante comme un pélerinage,
Et sur les
traces d'Herriot, ou sur la tombe de Frédéric Dard,
Darda le
soleil, comme l'évocation obscène,
D'un bon
vivant et d'un amateur de prose rabelaisienne.
De la maison
forte où tabous et boutades faisaient les gorges chaudes
De Mauriac,
qui loua " la ruse cultivée " d'un maire, maître en
rhétorique,
Nous vîmes
la roche escarpée, les cascades pantagruéliques,
Et écoutâmes
anecdotes et ragots.
En "Français
moyens " de tout horizon, tout de go,
Nous gobâmes
gobelet sur gobelet d'eau, ainsi que les propos,
De l'équipe
talentueuse de Gallimard,
Venue à
Brangue, malgré la gangue de chaleur,
Rappeler les
liens étroits et passionnés d'un éditeur et de son auteur.
Tout en
disposant, derrière le petit pont japonais,
Du plus beau
rouge, un bouquet de fleurs,
Sur la tombe
ensemencée de Claudel, à l'ombre de son érable pourpre,
Nous
immortalisâmes notre visite à l'ambassadeur.
Le souvenir
des trahisons d'Ysé, du huis-clos du Partage,
Nous émut au
point que nos visages s'empourpèrent,
Et certains,
de pudeur, préférèrent s'alanguir dans le Pré
En plein
malaise, près du chapiteau de prose,
Où les
comédiens jouèrent le drame, au milieu des roses.
L'amant de la
littérature se fâchait dans sa correspondance enflammée
Avec un
Parisien pygmalion, qui sut céder avec fermeté,
A bon nombre
de ses demandes, parfois capricieuses, au nom du talent,
Et nos vingt
et quatre membres, sous le charme, complètement,
Rêvèrent
d'avoir un jour le culot d'écrire: le chemin du succès n'est barré
Que par un
obstacle aisément franchissable. Le château chauffé à blanc
Dégageait un
sentiment d'harmonie et de nostalgiques parents
Incarnaient
la mémoire d'un écrivain voyageur, diplomate et franc.
Ses
répliques, ses sarcasmes, sa verve catholique, avec ferveur,
Prouvaient
son enthousiasme et envers Proust, une rancoeur,
Fondée sur
des moeurs qu'il jugeait intolérables. Du fond de son coeur,
Il lui était
impensable de distinguer l'homme de l'artiste,
Quand bien
même il reconnaissait des qualités aux autres sur la liste:
Aragon,
Céline, tant de contemporains décriés; l'art est-il inné ?
Ne
sommes-nous pas chacun personnages autant que personne ?
Faut-il en
déduire que nous nous multiplions à notre guise,
Pour ne
paraître que ce que nous voulons montrer, en somme,
En fonction
du contexte, du public, et des attractions soumises ?
" La
chair contre l'esprit " résume bien cette mémorable journée.
Les corps
exsudés ayant souffert à mesure que nos pensées convergeaient
Vers un idéal
de l'écrit, adeptes d'éclectisme: de Dard à Saint-Exupéry,
En passant
par Claudel, dans nos souliers de Lyonnais,
Les membres
de l'UERA ont rappelé que les influences passées
Ont nourri
des dramaturges, des poètes, et romanciers,
Comme Jacques
Bruyas, humbles et inspirés, sur les traces desquels
Dans cent
ans, on marchera peut-être, sous un soleil de plomb...
Par Cendrine Bertani.
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