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vendredi 17 mai 2013

Yazd

Quelques instants hors de Rhône-Alpes... et hors de France... 

En ce début d’après-midi, l’air est immobile. Sur la petite place, une murette percée d’un ouvrage bas en fer forgé ferme l’accès au pishtaq (grand portail) exceptionnellement étroit de la mosquée du Vendredi Masdjed e Djomeh, qui sert de piédestal, à droite et à gauche, à un haut minaret. Derrière le portail s’étend un espace où s’assemblaient les fidèles. A l'Office du tourisme, implanté dans la ville moderne, comme dans le quartier, le Point informatique, tenu par des étudiants et peut-être encore en activité, me permettrait de savoir à quelle porte frapper, puisque l’entrée est soustraite à la vue, en fonction d’une logique qui m’échappe toujours, mais rejoindre un environnement banal, sonore et revenir, ou même parler, romprait la magie de l’instant. Je remets aussi à une autre fois, la visite du mausolée Seljukide. 

La première fois que je suis venue à Yazd, nos chemins, celui de B., une jeune voyageuse et le mien, s’étaient croisés. Nous nous trouvions près d’ici, dans ces voies de terre. Un accueil extraordinaire nous attendait. Suivi d’une ribambelle d’enfants, un vieillard édenté nous avait offert à boire dans une écuelle en aluminium, impossible de refuser malgré une certaine appréhension. Un autre homme avait tenu à nous guider jusqu’à un patio d’où on apercevait le bureau de l’ex président Khatami ! Une nuit, le toit d’une ferme, nous servit de chambre, juste au-dessus de la basse-cour, comptant quelques canards dont les paysannes tirent des revenus qui, selon la coutume, leurs reviennent en propre. Nos hôtes dormaient dans l’une des deux seules pièces, à la limite du dénuement mais d’une propreté irréprochable. La ville, au crépuscule, glisse avec lenteur du beige rosé au rose doré sous le soleil ductile qui magnifie tout : habitations, coupoles citernes, les arbres, les bâgdir, (tours du vent), étranges et superbes.

En ce début d’après-midi, loin de tout vacarme, la cité repose comme une rose séchée dans la lumière. Se dissout le temps, quiétude. Je frôle les murs, cire et miel épais. Des maisons mortes mais en aucun cas dépotoirs, s’attardent. Mon regard s'accroche aux bâgdir, système élaboré de collecteurs et de volets agencés de façon à capter le vent, le diriger au-dessus d'une citerne d'eau glacée puis de le conduire vers les pièces choisies, d'autres tuyaux évacuent l'air chaud. Dans le désert, j'ai pu apprécier cette ventilation ancestrale. De temps à autre passe un souffle d’air  frais, revigorant. 
Les rues guident mes pas, chaque impasse couverte mène à un logis. Un vieillard moustachu (la barbe est l’apanage des religieux, celle de trois jours, des très pratiquants, si j’ai bien compris), et quelques femmes en file indienne attendent devant l’ouverture longue et étroite d’un fournil semblable aux échoppes médiévales, s’y s’affaire un homme de sueur. A l'embrasure de l’entrée, le caissier  reçoit les pièces. J’attends le nân odorant, boursouflé, croustillant à certains endroits, roussi ou moins cuit ailleurs, on m’invite à passer la première, je refuse, on insiste. La galette sort de la gueule de terre noircie. Ne subsiste en moi que le plaisir de manger du pain chaud, pétri à la main et le désir d’écouter le temps entre ces murs assez hauts pour garantir l'intimité et pas trop pour rompre le lien intangible entre les hommes.   
Vêtu d’une veste de jean et d’un pantalon large, un adolescent referme derrière lui une porte de bois à deux heurtoirs. Le plus léger réservé aux femmes et aux proches, le plus lourd aux autres visiteurs, afin que les dames puissent se couvrir ou se retirer. Dans ces maisons subsistent des autels du feu. Zoroastre* avait réformé l’immémorial mazdéisme, Ahura Mazda, (dieu du Bien), accompagné de six divinités secondaires, devenait le Dieu suprême, l’Inconnaissable. Son voile entre ses dents, les mains pleines de galettes chaudes qui se courbent sous l’effet de la pesanteur, sourcils épilés, regard de jais, une femme me dépasse. Des maisons font alliance avec sable et poussière, un gros lézard surprend l'œil, disparaît dans un trou, plus rien ne bouge.
La cité flambe. Éclatante, l’éternité emplit l’espace.

Par Lorraine Pobel (extrait d'un récit de voyage).

1 commentaire:

  1. A votre lecture, je ressens le désert, ce que j'ai vécu en Asie Centrale, en Ouzbékistan, à Samarkand... fort beau récit !

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