Rue Sainte-Catherine, Lyon, 9 février 1943.
De
là où je suis, je les ai tous vus. Je ne sais pas compter le temps qui passe,
mais ce mur contre lequel je me blottis me rend presque minéral. Plus rien ne
compte que ces êtres qui s’agitent en bas et qui ne m’entendent pas. Plusieurs
fois ma compagne est venue me chercher, puis repartie. Moi, je reste là.
Celle que j’attends s’appelle Léah. Je le sais.
Elle est déjà venue. Avant que la nuit envahisse l’espace d’où je les observe.
Avant que le jour revienne et avec lui sa froide morsure. Quelqu’un l’a appelée,
elle s’est enfuie. Elle semblait terrorisée. Puis d’autres sont arrivés,
entrant dans cette allée juste en face
de moi. Et n’en ressortant pas. De pauvres gens, semblant avoir froid et faim.
Cette
rue est la mienne. Je la connais pour l’avoir traversée de part en part, depuis
mes tout premiers envols. Je l’ai connue joyeuse et animée, je me souviens de
jeunes couples rieurs sortant du studio de photo juste en dessous de mon
refuge. Il me revient en mémoire avec une délicieuse nostalgie les miettes de
gâteau semées sur le trottoir d’en face, là où un pâtissier s’était installé.
En plongées heureuses, nous venions ripailler quand les passants cessaient un
instant de passer.
Mais
c’était avant. Avant qu’une plaque ne soit posée au 12 de la rue, celle du « Comité d’Assistance aux
Réfugiés ». Cette allée est devenue ensuite le siège de la Fédération des Sociétés
Juives de France. Oui ! Nous savons lire et entendre. Sur un autre mode
que le votre, mais nous savons. Et depuis la rue est devenue sombre et triste.
Maintenant j’attends Léah. Pour la prévenir. Pour qu’elle prévienne les autres.
Ils sont arrivés hier. Des hommes en uniforme. Nombreux. Et ne sont pas
ressortis. Comme ceux que j’ai essayé d’appeler. Mais que font-ils tous ?
Je sens la menace et la peur envahir tout l’espace.
Quelque chose d’inéluctable et de tragique est en
route. Et je ne sais comment l’arrêter. Il ne m’a pas été donné la puissance et
les mots. Je suis un veilleur qui essaye de dépasser sa condition originelle.
C’est pourquoi j’attends Léah. Léah et sa chevelure rouge. Léah si frêle
qu’elle me fit penser à un elfe quand elle se retourna un bref instant pour
voir qui la hélait ainsi. Léah glissant sur les pavés, les effleurant à peine,
puis disparaissant par la Place
des Terreaux.
Deux silhouettes s’avancent presque sous ma
cachette. Ils ont des yeux sans lumière. Ils hésitent un instant, regardent la
plaque, le porche, la plaque encore. Celui qui semble le plus âgé pose sa main
sur l’épaule de l’autre homme. Il lui murmure « Feiwel, nous devons aller
chercher du secours. Nous n’avons plus rien, tu le sais ? » Puis ils
s’avancent encore.
Je
m’approche un peu, essayant de faire diversion. Eux-non plus ne me voient pas.
Ils sont avalés par l’escalier. Puis Léah arrive. Et je ne peux rien faire non
plus. Elle est déjà dans l’escalier quand un des hommes en uniforme l’attrape
par la main. J’ai attendu, longtemps. Puis je l’ai vue ressortir en courant.
Mais pas les autres. Des camions sont venus. Puis le silence est retombé sur la
rue.
Je n’ai rien pu faire. Je ne suis qu’un
veilleur de plume.
Par Sylviane Sarah Oling.
l'inquiétude est palpable
RépondreSupprimerOui, la barbarie nazie dans les rues de Lyon ! Comment ce siècle a-t-il pu produire de tels monstres abjectes ? Il faut ne jamais l'oublier, il faut l'écrire, passer le flambeau du souvenir aux jeunes générations. Ne jamais oublier que les politiques racistes, xénophobes conduident au pire et cultivent ce qu'il y a de plus bas, de plus malsain dans l'être humain.
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