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dimanche 3 février 2013

Souvenirs d'Ardèche - 3

Le narrateur, grand-père accompagné de son petit-fils Alexandre, retrouve ses souvenirs alors qu'il voyage avec le Mastrou, petit train qui reliait Tournon à Lamastre.

Le train avait dû s’arrêter à une des petites étapes prévues sur le parcours. Mais  cette fois, cela allait être plus long qu’à l’accoutumée. Un homme, avec pour seul uniforme une casquette portant le logo de la compagnie, faisant office à la fois de contrôleur et d’agent de sécurité, nous avait avertis que l’arrêt allait se prolonger un peu, suite à une petite avarie. Nous suggérant ensuite, pour patienter, de descendre à cet ersatz de gare, il nous avait proposé quelques petites ballades à faire alentour, nous recommandant de ne pas trop nous éloigner. Le sifflet de la locomotive devait nous donner le signal du prochain départ.

Je ne sais plus ce qui nous avait pris. Adeline m’avait soudain saisi la main, accompagnant son geste d’un seul mot : « Viens ». Je l’avais regardé, surpris, et, comprenant mon étonnement, elle avait ajouté : « Je connais cet endroit, et j’ai envie de revoir certains coins de mon enfance ». Comment aurais-je pu lui résister ? Tout me poussait vers elle. Nous étions descendus tout les deux, profitant d’un petit attroupement sur le quai pour nous éclipser et laisser nos amis respectifs en plan. Nous avions vite rejoint un petit sentier ombragé qui longeait le ruisseau. Elle me parlait, beaucoup, souriait, tout le temps, légère et radieuse. Je lui répondais peu, l’écoutant patiemment, buvant chacun de ses mots, ne la quittant plus du regard, cherchant en permanence le sien. J’étais en train de découvrir ce que c’est qu’être amoureux.

Le temps changea d’un seul coup. Un coup de vent d’abord. Puis le soleil qui nous avait accompagné jusque là fut brusquement masqué par une mer de  nuages sombres et menaçants. Je suggérais à Adeline de rebrousser chemin, avant que nous ne soyons pris par l’orage qui allait sûrement éclater d’un instant à l’autre. Mais elle voulait poursuivre un peu plus loin, comme si elle recherchait quelque chose d’important pour elle. Ce qui devait arriver, arriva. Un premier éclair vint zébrer le ciel, suivi presque immédiatement d’une averse froide et dense. Adeline me prit la main et me conduisit en courant vers une sorte de vieille grange abandonnée et à moitié en ruine qu’elle semblait reconnaître. Le temps d’y parvenir, nous étions déjà trempés jusqu’aux os.  Une fois dans cet abri de fortune, nous avions éclaté de rire, reprenant péniblement notre souffle. Je l’avais ensuite regardée. Sa robe mouillée lui collait à la peau, redessinant la courbe de ses hanches, modelant ses seins, devenant presque transparente par endroit. Puis mon regard avait croisé le sien.  Elle m’observait, un petit sourire au coin des lèvres, consciente que mes yeux  faisaient le tour de son corps, et que sa robe ne le masquait pratiquement plus à ma vue. Je m’étais rapprochée d’elle, j’avais pris sa main. Elle m’avait laissé faire sans résistance, sans quitter mon regard. Enhardi par son attitude et pris d’une soudaine pulsion, je l’avais attirée prudemment contre moi. Puis j’avais pris ses lèvres, doucement, tendrement. Elles étaient douces, et brûlantes. Elle s’abandonnait dans mes bras. Se pouvait-il que dès le premier regard, sur ce quai ce matin là, elle ait ressenti la même chose que moi ? 

Je me souviendrai toute ma vie de ces moments-là…

- Grand-père ?
- Oui Alex.
- Tu rêves encore ? 
Emilie arrive en courant, m’évitant de répondre, et s’assoit en face de nous :
- Ça y est, on a fini.
- Elle est où mamy ? demande Alex à sa sœur.
- Elle arrive, tu sais bien qu'elle ne marche pas vite enfin.
J’aime les voir se taquiner de cette façon. Émilie est toujours prête à reprendre son cadet de frère, qui a appris de son côté à ne plus trop s’en offusquer.

Grand-mère est enfin de retour. Elle est toujours aussi belle mon épouse. Emilie lui ressemble tellement. Je me pousse sur mon banc pour lui laisser un peu de place, et qu’elle puisse s’installer tout près de moi. Elle passe un bras sous le mien et me demande :
- Tout va bien Serge ?
- Ça va. Alex a vu plein de belles choses.
- Et papy n'a fait que rester dans la lune, lui commente prestement mon petit-fils.
- Ah bon ? fait grand-mère.
Elle me regarde tendrement, me tend ses lèvres, que j’embrasse sobrement. Un sourire amusé barrant son visage, son bras serrant le mien un peu plus fort, elle me demande, d’une voix emplie de tendresse :
- Quelques souvenirs qui te reviendraient ?
Je plonge mon regard dans le sien, dans ses grands yeux bleus qui m’ont fait chavirer quarante ans plus tôt. Ils sont toujours aussi beaux. Nous avons eu de beaux enfants, nos petits-enfants sont magnifiques. Je suis un homme heureux. Heureux depuis quatre décennies, grâce à ce petit train à vapeur qui parcourt, en s’accrochant à une ancienne et chaotique voie ferrée, les vertes collines de l’Ardèche.


Par Maurice Revelli.
Nouvelle non autobiographique, classée 2e au concours de Roussillon en Provence, en 2011. 

1 commentaire:

  1. Récit charmant et plein de tendresse... Et qui rappelle bien, en effet, pour ceux qui l'ont connu, ce fameux "Mastrou"... inoubliable !!! Beau souvenir bien raconté... Merci.

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