Suite de la lettre - imaginée par J. Bruyas - de Camille Claudel à son frère, à l'occasion du film "Camille Claudel 1915" de Bruno Dumont avec Juliette Binoche.
[...]
Mon Paul, mon petit
Paul, je sais que tes pièces
continuent d’être jouées à travers le Monde et que justice t’est en
quelque sorte rendue chaque soir sur les planches d’un théâtre mais qui oserait
dire que tu fus un des premiers intellectuels à interpeller le Maréchal Pétain
sur la complicité assassine de son gouvernement à l’égard des juifs de France,
que tu fus des rares écrivains à demander l’abolition de la peine de mort,
insupportable au seul égard de ta foi, en un pays où la guillotine marchait
alors à pleine puissance, à dénoncer les bagnes et travaux forcés, toi, qui
aurais alors laissé sa sœur internée en ce maudit hôpital de Mondevergues où ma
propre mère et ma sœur m’enfermèrent prétendument pour mon bien.
Souviens toi, mon cher
Paul, mon second prénom est Anastasia, ou Anastasie, comme l’Anastasie du Père
Goriot de Balzac, honnie par sa sœur Delphine…mais moi je ne voulais de notre père que son amour,
nullement son héritage…
Tu jouais avec mon
prénom en ce début de XXème siècle en apprenant la naissance d’une princesse
russe aussi prénommée Anastasia et tu m’affublais des diminutifs de cette
dernière en m’appelant dans ta tendresse Nastanka ou Nastya… Qu’il est loin ce
temps des bonheurs simples.
On va donc m’incarner
sur grand écran, me montrant exaltée, possédée, et surtout contrite d’une
attente insatisfaite d’un petit frère impuissant à me dégager des griffes d’une
procédure tutélaire m’obligeant à un enfermement à vie.
Tu vas encore en
entendre des vertes et des pas mûres sur ton compte, sans compter qu’en ces
temps de pensée unique tu représentes tout ce que les esprits supérieurs
s’appliquent à dénigrer, un grand ambassadeur, un chrétien papiste, un écrivain
catholique engagé dans sa foi mais détaché des errements sociaux, un individualiste
par la force de tes éloignements diplomatiques et de tes réserves de haut
fonctionnaire, un frère aimant, aimé mais incapable de s’opposer à une mère
castratrice enfin un mari et père de famille clanique, jouant au hobereau
campagnard dans ton Brangues d’adoption…Qu’importe mon petit Paul, saches que
moi je t’ai toujours chéri et que si la vie en avait été différente, point mon
amour n’en aurait été moins fort.
N’écoute rien à mon
sujet, caresse quelqu’une de mes statues et remue dans ton cœur un de ces
instants magiques des soirées de Villeneuve-sur-Fère où nos rires conjuguées
interpellaient les étoiles et plaisait forcément à Dieu.
Ta Camille
Par Jacques Bruyas, auteur de la pièce Nous ne reviendrons plus vers vous (éditions Cosmogone), inspirée des correspondances échangées entre
Camille et Paul Claudel, dont vous pouvez découvrir un extrait en cliquant ici.
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