Suite des souvenirs de Dana Lang...
La « Cité de transit » comme elle s’appelle,
devient un four, l’été. De longs bâtiments se dressent là, sans aucun arbre.
L’appartement, très haut, coupé en deux par une mezzanine deviendra la chambre
des garçons. Face à elle et de côté, une pièce longitudinale offre une grande
chambre pour moi et mes sœurs. Mes parents occupent la pièce en-dessous de
celle des filles. Une grande salle sert de cuisine et de salle à manger. Il n’y
a pas de salle de bains. Tous les logements se ressemblent, conçus de la même
manière pour tous. Ils grouillent de punaises et de cafards !
Vers treize ans, bien que je sois une très grande
malade en bonne santé, d’après moi, les médecins m’envoient en maison de repos
à Megève. Je découvre le Mont Blanc et la haute montagne, c’est le coup de
foudre. Je profite de la présence d’une bibliothèque pour passer mon séjour à
lire, je découvre Pagnol et de nombreux autres auteurs. Mes amies ne parviennent
pas à m’entraîner dans leurs jeux que je trouve idiots. Comme dans mon enfance,
je demeure une enfant volontaire, calme, solitaire et une lectrice assidue.
Mon père devient jardinier à l’Ecole des Métiers de
Lyon, la Mouche. Ce métier lui va bien. Il tond la pelouse et greffe des roses.
Il obtient, aussi, un jardin ouvrier de 900 m2, à Gerland, à proximité du lieu
de son travail. Il est heureux et il s’y rend à vélo. Mon père ne conduit pas.
Depuis Oullins cela fait une trotte. Moi, dans le car qui me rend à Lyon, il
m’arrive de l’entrevoir, pédalant par tous les temps, déterminé, vers sa
destination. J’ai le cœur crevé.
Mon adolescence se déroule avec une énorme envie de
vivre loin de la maladie omniprésente. Pour m’en sortir, je l’oublie définitivement,
je la dénie. Elle n’existe plus. Je m’enferme dans la lecture. Au moindre
argent de poche, je m’achète un livre. Je veux vivre ma vie le plus vite
possible, me marier pour avoir un statut de femme, quitter ce cocon où mes
parents me surprotègent. Je veux devenir adulte. J’ai une envie folle d’être
moi.
En ces années, les hivers de 1954-56, à Lyon, rue
Florent et celui de 1963 à la « tannerie », longs de cinq mois, avec
des -33°, voire jusqu’à -37°, glacent et
figent durablement le pays enneigé. C’est le moment que choisit mon frère,
Patrice, blond comme les blés, septième enfant, pour venir au monde, le 8
janvier 1963. Sans savoir pourquoi, cet enfant ne cesse de pleurer. Au cœur de
l’hiver, il faut redoubler d’effort de chauffage. On se chauffe misérablement
avec un petit poêle à charbon. Nous avons tous horriblement froid. A cette
époque, après être allée au collège à Pierre-Bénite, je quitte la 3ème
pour travailler dans un atelier de peinture sur soierie. Je veux contribuer à
aider mes parents avec mon salaire. Je peins des fleurs sur soie, chez Bados
Entreprise.
Je me rends sur les lieux de mon travail à
Villeurbanne. Il me faut traverser la ville, de part en part, dans les bus. Je
vois monter la Tour de la Part Dieu, chaque jour, un peu plus haut. Tour que
les lyonnais baptiseront, plus tard, « le crayon ». Elle fait les
choux gras de la presse avec une grue innovante. J’ignore, alors, que je
rencontrerai l’homme qui, à l’âge de dix-neuf ans, a inventé cette grue et
dirigé tous les corps de métiers du bâtiment pour sa construction, et qui, des
années plus tard, deviendra mon époux.
Cette année 1962-63, je piétine sur place en attendant
les cars. Ma mère m’a acheté des chaussures en peau de phoque et pourtant, mes
pieds sont couverts d’engelures. L’eau qui coule de mon nez congèle. Les
autobus possèdent des portes qui gèlent sur place. Le chauffeur doit les
actionner plusieurs fois avant de parvenir à les ouvrir. Le froid est atroce,
insupportable et l’hiver, très long, cette année-là, n’en finit plus.
Je vais aussi aux cours de dessin, dessin industriel
place des Cordeliers où j’obtiens le premier prix et je suis les Cours du soir
des Beaux Arts à la Croix Rousse récompensée par le troisième prix. Mes
professeurs m’encouragent et me conseillent de ne pas abandonner car,
m’affirment-ils, je suis douée.
[…]
Par Dana Lang.
Extrait de Les sanglots du vent, éditions La fontaine aux fées, septembre 2011.
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