Hier,
Place de la Croix-Rousse à Lyon. Un quartier populaire, dans sa plus
belle définition. Vivant. Mélange harmonieux de jeunes couples avec
enfants, de « Babayagas », ces délicieuses vieilles dames, de
célibataires amoureux de la fête et de voyageurs aux multiples bagages,
venus déposer au cœur de la Croix-Rousse leurs rêves d’ailleurs un
instant apaisés.
Venue
très tôt en ce lieu, en dilettante, promener mon imaginaire laissé en
jachère dans des steppes oubliées, j’haranguais intérieurement un maître
de cérémonie oublieux des règles de son office. Il m’entendit. Je le
jure ! Il m’entendit…
Arrogant,
ne voulant pas me donner l’impression d’avoir cédé à ma supplique, il
arriva, par touches sauvages et intenses. Puis brusquement déchira le
ciel, reprenant enfin sa place, en ce mois de juin, œuvrant depuis la
nuit des temps à son unique sacre. Un samedi entre deux parenthèses de pluie. Et
c’est ainsi que je la vis, sous ce soleil encore froid mais en devenir
de puissance mordante. Pâle. Si pâle qu’elle en était presque spectrale.
Elle
avançait en absolue majesté, ou plutôt, dirai-je, elle dansait,
traversant la place, sans un regard pour ceux qui la dévisageaient avec
une absolue insolence. Vêtue d’un manteau en velours dévoré, d’un rouge
si rouge qu’il semblait littéralement peint sur elle, chaussée de
bottines noires, les mains recouvertes de gants rouges, elle semblait
ignorer le bruyant étonnement qu’elle suscitait. Seul son visage, si
ravagé par le temps qu’il participait de la violence de ce qu’elle
générait parmi les passants, était à découvert.
Surgi
de nulle part, elle arpentait ainsi la place, murmurant pour un peuple
de pigeons peu attentifs, ce qui semblait une forme de langage inconnu
de moi. Pourquoi me suis-je approchée d’elle ? Pourquoi a-elle alors
accroché son regard au mien ? Ce qui se dit entre nous, dans cet espace
volé à toute tentative d’explication rationnelle, je ne le compris pas
immédiatement. Pas de mots. Pas de gestes. Son regard… Dieu ! Son
regard…
Je nous savais liées en cet instant précis, sur cette place, par ce matin de juin où la Croix-Rousse donnait une fête. Secouant la
tête, elle me tendit un bref instant sa main gantée, sans me laisser
seulement l’effleurer, nos deux mains presque suspendues à l’inachevé de
ce geste.
Puis,
avec une théâtrale lenteur, elle recula de deux pas, sans un sourire,
livide et inexpressive, me faisant douter de la fulgurante proximité qui
s’était créée entre nos deux univers. J’ai fermé les yeux
instinctivement. Quelque chose en moi appelait cette inconnue, voulait
lui trouver un sens, même ténu. Quelque chose en moi la repoussait.
Il
n’y a pas d’épilogue à cette histoire. Juste que mon apparition d’hier
habite désormais un espace que je ne sais nommer dans mon existence. Et
que c’est ainsi que s’écrit notre histoire. Nous ne pouvons retenir le
temps qui passe, ni ceux qui ne sont que l’instant arrêté. Mais
l’aventure renouvelée est bonne et belle à vivre. Dans sa complexe
quotidienneté.
Par Sylvianne Sarah Oling.
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