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vendredi 1 février 2013

Souvenirs d'Ardèche - 1


J’observe, depuis longtemps déjà, rêveur, la combe qui défile juste en-dessous de nous avec lenteur. Ce jour devrait être un jour de joie, et me voilà rempli d’une sorte de tristesse et d’une mélancolie qui ne me ressemblent pas. Pourquoi ai-je eu cette idée saugrenue de revenir ici ? Quel besoin avais-je de vouloir refaire un tour de ce petit train qui serpente sur les coteaux de l’Ardèche, entre Tournon et Lamastre ? Une envie de pèlerinage ?
Je sens la main de mon petit-fils dans la mienne. Il est assis sur mes genoux, sursautant à chaque sifflement sonore de la locomotive, riant aux éclats ensuite, espérant le prochain cri de la machine. Il me montre le ruisseau qui court au fond de la vallée, un cheval dans un pré en contrebas qui s’enfuit à notre passage, en envoyant des ruades, hennissant, furieux. Je l’adore Alexandre. Mais ce matin, sa joie de vivre et le pittoresque du trajet que nous offre pour quelques heures le Mastrou,  avec sa locomotive à vapeur, ne parviennent pas à me sortir complètement de ma rêverie.
- A quoi tu penses grand-père ?
Avec la parfaite conscience de lui mentir, je m’entends lui répondre, d’une voix sereine :
- A rien fiston.
Devant son regard brillant, je ne peux m’empêcher de le serrer un instant dans mes bras et de l’embrasser. Il est tout à sa joie d’être monté dans ce tortillard. Sa locomotive bruyante, les volutes de fumée qui viennent parfois lécher les vitres de notre compartiment, l’écho continu de la machine à vapeur sur les flancs de la vallée où nous circulons, le ronronnement sourd et régulier des bogies sur ces vieux rails tordus, les secousses qui agitent notre wagon, les passages dans les tunnels sombres, toujours précédés du sifflement strident de la machine qui nous tracte péniblement, tout cela l’amuse. Quant à moi, bercé par ces vibrations et ces bruits, je me sens ramené en arrière, quarante ans plus tôt.


Je venais d’avoir vingt ans. Pour fêter cela, avec quelques copains étudiants lyonnais comme moi, nous avions décidé de passer un week-end prolongé dans l’Ardèche toute proche. À cette époque, le tourisme n’y était pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. Il était assez facile, pour des jeunes-gens comme nous, de faire un peu de camping sauvage, de se baigner librement et nus dans l’eau froide de cette belle rivière qui donne son nom à ce département de France. Nous n’avions pas besoin de grand-chose pour vivre heureux, en dehors de chercher à satisfaire en permanence une inextinguible soif de liberté, et probablement quelques envies de transgressions. Sans doute l’ascétisme et la rigueur de nos études d’ingénieur, ainsi que le sang chaud de notre jeunesse, alimentaient nos désirs. Et nous nous y vautrions avec délectation, sans complexe.
Je ne sais plus comment nous était venu cette idée, ni lequel d’entre-nous avait entendu parler de ce petit train. Toujours est-il que nous avions quitté l’ombre de  l’arche rocheuse de Val en Pont d’Arc, qui enjambe la rivière dans un de ses méandres, et qui aimablement avait accueilli pour un temps notre campement, pour remonter sur Tournon. Ah, je me souviens de la vieille 2CV Citroën de Pierre. Une relique, dans laquelle nous avions réussi à nous caser tous les 4, avec tout notre équipement. Elle était chargée comme une mule et avait du mal à avancer sur la nationale 86. Par temps de pluie, il fallait tourner la manette d’essuie-glace à la main. Pour masquer les trous faits par la rouille dans le capot du coffre arrière, il y avait collé un énorme canard jaune. Sans doute un produit dérivé, comme on dit aujourd’hui, de l’historique et mémorable série télévisée, qui avait pour premier rôle un caneton nommé Saturnin.
Nous n’avions pas eu de mal à trouver la gare du Mastrou. Arrivés très tôt avant le premier et seul départ du matin, nous avions eu le temps de faire le tour de la bête, tentant de comprendre à quoi pouvaient bien servir telles ou  telles pièces, admiratifs de l’aspect de telles autres, perplexes devant la petitesse de celles-ci, jouant aux experts en mécanique, tout ingénieurs en herbe que nous étions. 
Je crois que c’est Michel qui les avait aperçues en premier. À moins que ce ne fut elles qui nous avaient déjà remarqués. Notre passion pour la mécanique s’était alors  très vite vue remplacée par une autre, tout aussi débutante et dévorante : celle de la gente féminine...

- Grand-père ?
- Hum... oui, Alex ?
- Je vois bien que tu penses à quelque chose. Dis-moi ce que c'est.
D’habitude je cède toujours facilement à cet enfant. Aujourd’hui pourtant, ce ne sera pas le cas.
- A rien que je pourrais raconter à un petit garçon de ton âge.
Il fait la moue, me donne une petite tape, qu’il accompagne d’un « Tu n’es pas gentil », juste avant de revenir se blottir contre moi. Bien vite, son attention est à nouveau attirée par le spectacle d’un troupeau de vaches qui ruminent tranquillement, indifférentes à notre passage, puis celui d’un héron posé sur un rocher, au milieu du ruisseau poussif qui serpente plus bas et qui nous accompagne depuis le début de notre périple.

A suivre.
Par Maurice Revelli

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