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dimanche 10 février 2013

Thérèse et Faldoni, les amants d'Irigny - 3

Découvrons les retentissements de ce suicide.

Ce double suicide des amants fit sensation dans tout le pays... Thérèse et sa famille étaient connus dans les villages environnants, étant propriétaires de quelques domaines, de même qu'à Lyon, en tant qu'aubergistes.
La chapelle lieu du drame fut longtemps l'objet de visites de curieux, venant de ces villages et de Lyon. Quant au fait lui-même, il fut amplifié, dénaturé ou interprété selon des préférences d'écrivains ou d'époques, laissant sa trace dans la littérature de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe.
Lorsque le drame se déroula, Jean-Jacques Rousseau logeait à Lyon, chez les parents Lortet, comme il l'avait déjà fait à plusieurs reprises dans le passé.
Dans la cour de cet Hôtel de Notre-Dame de Pitié, on lisait jadis l'inscription suivante placée au-dessus du buste de Jean-Jacques Rousseau : "Jean-Jacques Rousseau a logé dans cet hôtel en 1732".
Il y revint en 1768 "du dix-huit juillet jusqu'au milieu du mois suivant". Il eut donc maintes fois l'occasion de voir Thérèse, d'engager la conversation avec elle et d'apprendre à la connaître. Lui qui avait, 9 ans auparavant, décrit les amours contrariées de deux jeunes amants dans "Julie ou la Nouvelle Héloïse" trouva sans doute un écho troublant à son œuvre dans ce fait divers qui le toucha d'autant plus qu'il en connaissait les protagonistes... Il fit l'épitaphe suivante :
"Ci-gisent deux amants, l'un pour l'autre ils vécurent
L'un pour l'autre ils sont morts et les lois en murmurent
La simple piété n'y trouve qu'un forfait
Le sentiment admire et la raison se tait."

[L'hôtel de la rue Sirène a été démoli en 1864 ; la maison, située au N°34 de la rue de Hôtel-de-Ville, s'élève sur son emplacement.]

Au même moment, Voltaire se trouve en son château de Ferney. Marqué lui aussi par ce fait divers, il ajoutera, dans son Dictionnaire Philosophique, à la suite de l'article "de Caton et du suicide" un chapitre intitulé "Précis de quelques suicides singuliers".
"Voici le plus fort de tous les suicides. Il vient de s’exécuter à Lyon, au mois de juin 1770.
Un jeune homme très connu, beau, bien fait, aimable, plein de talents, est amoureux d’une jeune fille que les parents ne veulent point lui donner. Jusqu’ici ce n’est que la première scène d’une comédie, mais l’étonnante tragédie va suivre. L’amant se rompt une veine par un effort. Les chirurgiens lui disent qu’il n’y a point de remède : sa maîtresse lui donne un rendez-vous avec deux pistolets et deux poignards afin que si les pistolets manquent leur coup, les deux poignards servent à leur percer le cœur en même temps. Ils s’embrassent pour la dernière fois ; les détentes des pistolets étaient attachées à des rubans couleur de rose ; l’amant tient le ruban du pistolet de sa maîtresse ; elle tient le ruban du pistolet de son amant. Tous deux tirent à un signal donné, tous deux tombent au même instant. La ville entière de Lyon en est témoin. Arrie et Pétus, vous en aviez donné l’exemple ; mais vous étiez condamnés par un tyran, et l’amour seul a immolé ces deux victimes."
Voltaire, qui fait ici allusion à la tragédie de 1702 "Arrie et Petus ou les amours de Neron" écrivait d'ailleurs à un ami, le 30 juillet : "Ils se tuent tous les deux en même temps, cela est plus fort qu'Arrie et Petus. La justice n'a fait aucune infamie de l'affaire, cela est rare."

Les revues de l'époque font état, également, d'un drame en 5 actes et en vers, composé "sur la fin tragique
de deux amants, qui se tuèrent en 1770 dans une église de Lyon, au pied de l'autel" et dû à Pascal de
Lagouthe ; ce drame sera joué à Paris et à Londres en 1776.

En 1783, le poète Nicolas-Germain Léonard (1744-1793) publia un ouvrage en trois volumes intitulé "Lettres de deux amants habitants de Lyon, contenant l'histoire tragique de Thérèse et Faldoni", où des souvenirs personnels ajoutaient leur mélancolie à celle de l'aventure elle-même, ce qui suscita d'ailleurs quelques critiques de la part d'observateurs qui déploraient la déformation de certains éléments importants de l'histoire d'origine. Cette oeuvre connut pourtant un franc succès, et fut même traduit en anglais pour finir par faire pleurer outre-Manche...
Jean-Baptiste Augustin Hapdé écrivit, en 1809, un mélodrame en 3 actes qu'il intitula "Thérèse et Faldoni ou le délire de l'amour". Cette pièce, créée au Théâtre des Célestins, à Lyon, connut un franc succès et fut reprise à l'Odéon de Paris en 1812 sous le titre "Célestine et Faldoni ou les amans de Lyon - drame historique". 
Il est à noter que, outre le changement de prénom de l'héroïne entre Lyon et Paris, Hapdé modifia la fin de sa pièce pour le public de l'Odéon : Faldoni était alors seul à rendre le dernier soupir, et son amante tombait dans un évanouissement trop violent pour ne pas laisser supposer une mort prochaine, tout en ne la garantissant pas comme certaine... d'où un abîme de perplexité pour le public parisien :
"Meurt-elle, ne meurt-elle pas avec son cher Faldoni ? lisait-on dans le Journal des Débats... "L'évanouissement fait une grande incertitude sur la destinée de l'amante. Si toutes les femmes qui s'évanouissent mouraient, une grande mortalité régnerait sur le sexe..."
Le succès de ce drame bourgeois fut très vif à Paris ; toutefois certaines critiques mirent en doute la légitimité de l'utilisation de l'anévrisme de Faldoni comme "ressort" dramatique : un mal physique exerçant sur l'action une influence capitale. Hapdé jugea alors bon de mettre en tête de sa brochure, à la suite du récit de l'histoire vraie des deux amants, une définition de l'anévrisme empruntée au Dictionnaire de Médecine.
Il est permis d'ajouter, à la liste des œuvres que fit naître cette histoire, les quelques pièces parodiques qui furent créées à la suite, en 1812, telles que ... "Galantine et l'Endormi", dans laquelle l'amante propose à son Endormi un suicide par étouffement aux marrons rôtis... ou encore "Romantisme et Agoni, ou les effets de l'amour et du ver solitaire", qui mettait en scène l'empoisonnement mutuel des amants au moyen de pistolets de pain d'épices...

Redevenons plus sérieux en laissant la synthèse de la grande inspiration que suscita cette histoire à Fontanes, futur ami de Châteaubriand, qui écrivait en 1792 :
"Thérèse et Faldoni ! Vivez dans la mémoire;
Les vers doivent aussi consacrer votre histoire.
Héloïse, Abélard, ces illustres époux,
Furent-ils plus touchants, aimaient-ils mieux que vous?
Comme eux, l'amour en deuil à jamais vous regrette;
Qu'il console votre ombre, et vous donne un poète !"

Par Emmanuelle Cart-Tanneur.
Sources et documents supplémentaires en cliquant sur ces mots.

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