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jeudi 16 octobre 2014

Promenade autour d'une rivière

La Saône



La vision des péniches, pleines, basses et à ras de l'eau en descendant la rivière, puis hautes et montrant toutes leurs coques noires et vides en sortant de la ville pour remonter vers le nord... Les péniches passant sur la Saône comptent parmi les plus lointains souvenirs de ma petite enfance. Nous habitions dans la proche banlieue de Lyon, une maison près de l'eau. Juste en face de la grille donnant accès au quai, se trouvait la passerelle qui traversait la rivière et menait à Fontaine s/Saône, l'image la plus marquante qui m'en reste est celui d'un matin de brouillard, où ma grande sœur me tenait la main, emmitouflés de bonnets et d'écharpes, nous marchions sur ce pont de bois dans la demi-obscurité de l'hiver pour nous rendre à l'école, à peine nous sentions le ronflement de l'eau passant sous nos pas, les maisons de Fontaine sortaient de la brume à mesure que nous avancions... Pourquoi ce souvenir est-il resté si net ? Pourquoi certaines images nous marquent-elles plus que d'autres ?        
Quelques temps après, cette passerelle a été détruite et remplacée par un vrai grand pont de pierre installé un peu plus loin. Quand aujourd'hui il m'arrive de passer entre Collonge et Fontaine, je ne peux m'empêcher d'aller vérifier les marques laissées à l'emplacement de cette ancienne passerelle, témoin d'un passé presque irréel. En effet, que reste-il aujourd'hui de cette France des années 50, encore pleine des meurtrissures de la guerre ? Quand je pense à ce temps-là, il me semble que je sors d'un rêve, non pas que cette époque était meilleure qu'aujourd'hui, mais la vie était si différente... Tout les gens autour de moi parlaient encore des années de guerre, dans ma tête de petit garçon, j'avais conscience d'arriver dans un monde venant de subir une grande épreuve que je venais de manquer, un peu comme si j'arrivais trop tard, juste à la fin d'un spectacle...

La Saône... Il lui arrive parfois de déborder et de faire quelques dégâts, non pas avec la violence et la cruauté d'un fleuve en colère, mais ses eaux paisibles passent au dessus des quais, noient les routes et les caves des maisons alentours, recouvrent les îles basses en laissant d'infâmes traces de boue... Cette rivière tranquille aime parfois faire preuve de caractère. C'était je crois en 1955 qu'elle a eu le caprice d'inonder toutes ses berges, et que cette gentille rivière s'est transformée en une sorte d'inquiétant bras de mer... nous ne distinguions plus ni les quais, ni les routes face à notre maison, nous voyions les maisons de Fontaine noyées sous les eaux. Notre chance à nous était d'être dans un endroit un peu plus surélevé, qui nous a préservé de tout dommage. Mais régulièrement, la Saône aime montrer sa force, cela ne dure que quelques jours, les gens qui vivent sur ses rives doivent le savoir et accepter de payer le prix de ses sautes d'humeur.

Quand je roule aujourd'hui sur la route qui sort de Lyon en longeant la Saône, il est difficile d'imaginer que passait ici le "train bleu", un petit omnibus monté sur des rails, semblable à un tramway de banlieue, comment ferait-il maintenant pour passer au milieu de tant de circulation ?  Et pourtant, je revois bien ce petit train, avec ses banquettes en bois, je me souviens de ses secousses et de ses arrêts brusques à chaque arrivée dans les stations. Dans ces années là, la "société de consommation" n'avait pas encore pris son essor et tout le monde n'avait pas sa voiture, ce gentil tramway de banlieue était à l'image des gens qu'il transportait : Un petit tortillard humble et honnête. C’est, je crois, en 1958 que sa fin a été décidé, nous avions changé d'époque, le "train bleu" est maintenant entré dans l'Histoire de la vie lyonnaise. 

Les quais de la Saône, la cathédrale St Jean, le Palais de Justice et ses immenses colonnes, les bouquinistes du quai de la Pêcherie... il y a là une similitude avec le vieux Paris, la Seine et la Saône ont des noms qui se ressemblent, l'étymologie est certainement la même, et d'ailleurs ne naissent-elles pas toutes les deux au même endroit ? Quand j'ai découvert Paris, les quais de la Seine avec leurs kiosques à fleurs et leurs bouquinistes, je me suis tout de suite senti chez moi... il y a aussi les mêmes bateaux-mouches qui traversent la cité. Cette ressemblance n'est pas fortuite et la traversée d'une rivière donne toujours de "l'intelligence" à une ville, car c'est au bord des fleuves que sont parties les idées et les richesses qui ont fait avancer les nations, c'est toujours au bord de l'eau que se sont bâtis les industries, les commerces et les universités... 

À l'angle du quai de Bondy et de la rue qui mène à la gare St Paul, se trouve un des plus beaux coins de Lyon, face aux larges trottoirs où se tient le marché de l'Art, on peut s'asseoir aux terrasses des cafés, et entendre battre le cœur de la ville, on se prend plein les yeux et les oreilles de l'esprit de la cité, on est ici entre le théâtre de Guignol et les "bouchons" qui ont fait la réputation de la cuisine locale. Face au quai, par delà la rivière, s'élève la grande église de St Nizier au milieu des belles maisons bourgeoises de la Presqu'Ile. Derrière le quai de Bondy, on sent toute la pression des vieux quartiers de St Jean et de St Paul, dominés par la colline de Fourvière - la colline qui prie -, et surtout, il suffit de regarder en face et contempler la Croix Rousse, - la colline qui travaille -, avec ses vieilles maisons aux couleurs ocre et pastel, on pourrait se croire dans un coin d'Italie, si ce n'était la teinte mélancolique du ciel lyonnais... Cette belle colline, avec son air à la fois digne, austère et populeux rappelle tout le passé de la ville, fait de souffrance, de travail et d'esprit frondeur, ici comme à Paris, le peuple a durement payé sa part de justice et de liberté...
C'est au bord de la Saône, bien plus que sur les rives du Rhône que l'on sent vivre Lyon, c'est ici que la ville est née.
Je suis un "gone " des bords de Saône, j’y reviens toujours, c'est mon identité, je l'ai trainé à travers le monde, on ne se débarrasse pas comme ça de ses origines.

Par Gérard Guillon.
Inédit. 

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