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jeudi 12 février 2015

Tribulations sur les Pentes

Mes pas m’ont emmené aux Terreaux. Sans m’en rendre compte, j’ai emprunté la rue Justin-Godard et la montée Bonnafous. Qu’est-ce que je fous là dans les traces du scout avide d’expériences de chimie avec François Pierzon ? Et pourquoi, je traboule jusqu’au quai sinon pour me rappeler la petite chatte si soyeuse que j’y découvris ? Quelle raison me pousse à arpenter ce quai où je drague les messieurs habituellement jusqu’à la Place des Terreaux ? Ce premier rendez-vous avec Danielle ?
Me voilà bien avancé maintenant. Il me faut me retaper toute la montée jusque chez moi en évitant vers chez Ghyslaine qui risque bien d’avoir quitté la fiesta peu après moi. Elle ne s’y marrait pas des masses, ni Patricia que j’ai négligée tout au long de la soirée alors que ça aurait bien pu s’accorder, elle et moi. Je ne l’avais pas revue depuis le 17 août.
La paranoïa qui s’empara de moi après une des expéditions s’ajoute à mon tourment existentiel : quelqu’un me suit que je n’arrive à surprendre malgré mes arrêts brusques, mes volte-faces soudaines. Un ancien harponné, un flic ? un de la bande bigleux qui voudrait me faire un mauvais sort ? Je me trouve vers la gare de la ficelle Croix-Pâquet, fermée à cette heure-ci. Dans la rue, à droite, la cartonnerie et plus haut à gauche l’atelier de l’ancien mec de Éliane. On voit encore que les murs ont noirci autour des fenêtres. Deux options : par la rue Burdeau et la Place Chardonnet ou la montée Saint-Sébastien par où je traboulerai vers la Place Colbert. Celle que je choisis comme attiré par mes propres pas de jadis.
La cour des Voraces et son impressionnant escalier de pierre rappelle un juste combat : celui de la lutte contre le renchérissement du vin quand les bistroquets ont voulu changer la bouteille de 1,04 l par le pot de 48 cl grâce à l’instauration d’une coopérative de fourniture et distribution du picrate.
Le pot, d’ailleurs, a perdu encore 2 cl. Mais comme dit Mémé : « Les petits ruisseaux font les grandes rivières. »
La Place est bordée sur trois côtés d’immeubles à cinq étages, construits entre 1840 et 1850 pour loger les canuts et leurs métiers m’avait dit Pépé pour qui rien de l’histoire de la corporation n’était étranger surtout pas l’épisode de la révolte de novembre 1831. Le canut, il ne faut pas trop l’emmerder : il prend le coup de sang régulièrement. Après 1831, 1834, 1848 et 1849. Peu doué pour retenir des paroles de chansons, celle emblématique du quartier me permet de m’en tirer lorsqu’on me réclame d’en pousser une sur l’air des lampions. « Martinaud, une chanson ! Martinaud, une chanson ! » La main sur le cœur, je trémole : Pour chanter Veni Creator, il faut avoir chasuble d’or,(bis) Nous en tissons pour vous, Grands de l’Église, et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemise. La suite, tout le monde la sait et  reprend en chœur : C’est nous les canuts, nous allons tout nus !
Le 6 s’y arrête. À cet arrêt, mon cœur reprenait son fonctionnement normal. Combien de fois j’ai cru gerber dans les lacets avant d’arriver sur la Place ? Bien sûr, la ficelle va au plateau sans à-coups ; je la privilégie quand je monte au quartier à partir des Terreaux quitte à marcher un peu pour rentrer à la maison mais si l’on décide de prendre un trolley vers le Prisunic de la Guillotière, il faut se coltiner les virages à angles droits dès la Place Chardonnet. Le type dans sa cage grillagée descend trois fois sur quatre remettre les perches qui ont déraillé. Les copains de la bande aiment à tourner autour du trolley avec leurs brèles pétaradantes ce qui occasionne d’intempestifs coups de freins à faire valdinguer les mémés à cabas. 
Ça pitte-patte dans mes endosses ! À n’en pas douter. À galoches, que veux-tu comme je l’ai écrit dix fois à l’occasion des dictées quotidiennes. Celle-là…Maurice Fombeure ! Le « moyen », le « bon », le « passable » qu’ils étaient catalogués les écoliers dans la poésie. Ça cliquète talon nerveux, pas croquenot de plouc ou talon usé en biais de la bottine. Patricia porte de ces sandales légèrement surélevées. Mais elle ne se serait pas farci toutes mes pérégrinations pour dessoûler seulement pour le plaisir d’admirer mes fesses que d’aucunes disent telles des pommes. Elle serait ce suiveur anonyme qu’elle raconterait aux générations futures avoir parcouru la zone de la saga de Rémi Martinaud, des cités de la rue Henri Chevalier jusqu’à la Place Colbert via la Grande-Rue et le quai. Manque à l’appel, le bas du boulevard. Justement l’endroit maléfique que je ne veux évoquer. En quinze ans, j’ai parcouru quoi ? un kilomètre ? Pas plus que mes parents, en définitive. Nés et morts dans le quartier.

Par Alain Babanini.
Extrait de Faits-divers Accidents Place Colbert, autoédition, 2011.




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