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dimanche 20 janvier 2013

Les petites bonnes à Fourvière - 2


Suite de l'extrait de Naven, roman publié chez L’Harmattan en 2010, par Maryse Vuillermet.

Marthe et Maria, deux petites bonnes placées à Lyon, montent à Fourvière pour faire un vœu à Notre-Dame.

[...]

Elles sont restées longtemps, la place s’est vidée. De leur bouche, sortait de la buée mais elles n’avaient pas froid, réchauffées par la montée et par la conscience de leurs victoires successives. La ville qu’elle contemplait était plus que de beaux immeubles alignés sur des boulevards vastes comme leurs rêves, plus que les montées tordues de Saint-Jean  qui leur rappelaient leurs hameaux de montagne, c’était l’espace de leur réussite, de leur liberté. Même si elles travaillaient dix heures par jour et six jours et demi par semaine, leur liberté c’était leur salaire, le fait de ne plus vivre chez leurs parents,  de n’avoir plus les regards de toutes les vieilles du village rivés à leurs bas de jupes à chacune de leurs sorties, de ne plus dépendre des horaires des chèvres ou des vaches, des jours de pluie ou de froid, de travailler à l’abri, au chaud, de manger de vrais repas et plus de la soupe noire et épaisse de vieux pain, tous les jours, d’avoir, quelle que soit la récolte, toujours le même salaire, et même ça commençait à se dire entre les bonnes dans les squares, sur les marchés, de pouvoir changer de patrons si ceux qu’elles avaient les embêtaient ! Oui, c’était toute cette chance qu’elles contemplaient à leurs pieds, il n’y avait qu’elles qui le savaient et les autres bonnes de la ville, celles qui sortaient de leur pays comme elles et c’est pour ça que toutes les deux, elles se comprenaient si bien sans parler beaucoup ; Maria devant mais Marthe suivant à la bonne cadence, jamais vraiment distancée, Marthe était comme une éponge, elle absorbait et tout restait en elle ; Maria était son guide mais Marthe ne manquait jamais une leçon et il ne fallait jamais lui expliquer deux fois. Maria l’avait vue tout de suite que son élève était digne de ses leçons et elle en avait été contente, elle n’aurait pas aimé transmettre tant de choses à une pimbêche ou à une gourdasse, ça l’aurait déshonorée, ça aurait dégradé sa tâche et surtout elle voyait que Marthe était assez intelligente pour comprendre, et apprécier tout son savoir-faire, tous ses talents. Marthe seule pouvait concevoir sa volonté, son courage, son audace parfois devant l’inconnu, parce qu’il lui fallait les mêmes qualités pour arriver un peu plus tard au même résultat. Les patrons leur apprenaient beaucoup mais ils ne se rendaient pas compte de tous les changements profonds qu’elles devaient faire subir à leurs raisonnements, leur mentalité, leurs habitudes, leurs gestes de tous les jours, parce qu’à eux, tout cela avait été transmis insensiblement dans leur enfance alors qu’elles, elles devaient d’abord prendre conscience de leur façon de faire, voir la différence puis corriger ou  rayer de leur comportement l’ancienne manière. Maria et Marthe  avaient changé leur langage et leur coiffures, leurs vêtements bien-sûr  mais, plus  encore, leur manière de se moucher,  de manger, de tenir leurs bras moins ballants le long du corps, de s’asseoir sur une chaise bien droite, de prendre une assiette doucement et fermement, de boire dans un verre plus délicatement et silencieusement, d’ouvrir une porte sans la pousser avec le pied, de ramasser un objet tombé en se baissant joliment sans se mettre à quatre pattes, de se laver, de marcher dans la rue à plus petits pas, de rentrer à l’église avec leur livre de prières bien serré contre elles, de ne pas héler leurs copines dans le square ou le marché. C’était une surveillance de tous les instants qu’elles s’infligeaient à elles-mêmes, qui parfois les laissait épuisées, le soir, dans leur chambre. Souvent, on ne leur disait rien mais, un regard, une intonation leur faisaient comprendre qu’elles n’étaient pas dans le bon ton et c’était le plus souvent par observation et mimétisme, que, peu à peu, elles se métamorphosaient et se pliaient à un modèle idéal, non écrit, non-dit même, mais qu’elles commençaient à cerner et qu’elles désiraient atteindre.

A suivre.
© Lyon-photos.com
 

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