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vendredi 25 janvier 2013

Souvenirs lyonnais


[...] C’est à ce moment-là que je choisis de venir au monde… ici, à Lyon, à Lugdunum, ville du Dieu Celte Lug, ville de la  lumière.

UN QUARTIER LYONNAIS
Après deux années en Alsace qui vont marquer irrémédiablement ma vie, mes parents viennent habiter un deux-pièces, au 8, de la rue Florent à Montplaisir-la-Plaine (Lyon 8ème).
C’est un logement qu’occupe la sœur aînée de ma mère, Gilberte, surnommée Nénette avec son mari François.
Ils vont s’installer, à côté, dans le quartier de Monplaisir-Ville et offre, ainsi, la possibilité à mes parents de se reloger ici.
Ce n’est pas grand, mais il y a un immense terrain devant la porte de ce logis, clos par un mur tout autour, dont le mur du cinéma. Nous avons pour voisins, la famille Aznar, des immigrés espagnols dont le fils, Lucien meurt d’une leucémie à l’âge de dix-sept ans. Je les aime beaucoup.
A cette époque, ce quartier de Lyon est encore un petit village avec des champs de coquelicots et de bleuets, des hannetons, des coccinelles, des vers luisants. Les soirs d’été, mon père aime venir s’installer sur le bord de la rue Florent pour parler avec les voisins. Il s’assied sur une chaise tournée le dos à l’envers et lorsque nous sommes seuls, tous les deux, il me raconte des histoires, me montre les hannetons au vol lourd autour des lampes, le feu des lucioles. Il me fait découvrir la Voie Lactée. Il me révèle qu’un jour les hommes marcheront sur la lune. Certaines fois, il aime me montrer les étranges animaux que dessinent les nuages. Attentive, je l’écoute et j’observe assise, sur le bord du trottoir, mes bras enserrant mes genoux.
Ce quartier populaire héberge des familles de tous horizons. Quelques rues plus loin, on rencontre la Cour des Miracles, des maisons faites de bric et de broc où s’entassent, pêle-mêle, les immigrés italiens et espagnols au milieu de Français aux multiples enfants qui forment d’énormes familles.
Tout cela fait un quartier chargé de couleurs, de cultures différentes, de tintamarre joyeux et grouillant où le patois lyonnais (avec la Mère Cotivet) est encore bien présent dans les bouches. Moi-même, je le parle au quotidien, mais plus tard avec le brassage des populations et l’arrivée des pieds-noirs, il tombera en désuétude.
On entend les appels du « pati » qui vient ramasser les chiffons et toutes sortes d’objets hétéroclites, le cri de l’aiguiseur de couteaux et celui du vitrier. Le laitier, aussi, fait son tour et apporte le bon lait frais dans les berthes tintinnabulantes. L’atmosphère est emplie de ces bruits familiers, du caquètement des poules et du chant des coqs, des aboiements des chiens, de la voix des enfants qui jouent.
Cela donne un air de joie et de paix enfin retrouvées où chacun s’active et se reprend à vivre, tente, désespérément, de trouver le bonheur dans ces années d’après-guerre.
Ma grand-mère maternelle habite une rue plus loin, à l’angle de la rue Guérin. Elle élève des poules et des lapins dans la cour de son jardin, gardée par des chiens…
C’est une femme avec de la trempe, au caractère mauvais. Méchante avec ses enfants, particulièrement, avec ma mère qu’elle bat. Elle oblige celle-ci à s’occuper des plus jeunes, Carmen, Jeanne, Rose et Jean.
Quant aux aînés, Charles, revenu ravagé par la guerre, les pieds gelés, épouse Irène, elle a deux enfants, ils en font quatre et il plonge dans l’alcool. Marie et Diego se sont mariés à leur tour, puis René avec Jeannette qui décèdent et laissent trois enfants orphelins. Enfin, Gilberte quitte, tôt, le toit familial pour épouser François qui se mettra à boire.  
Installé dans ce nouveau quartier, le père Joseph Lopez Haro, menuisier se met à vendre du poisson sur les marchés. Bizarrement, ma mère aime bien cet homme qui lui tient lieu de père.

Pendant la guerre, à Lyon, la population doit se nourrir de rutabagas, d’épluchures de patates, puis elle cherche sa pitance dans les poubelles. Ma mère et sa famille le font, également.
A seize ans, ma mère qui meurt de faim, fait la connaissance de mon père au fort de Bron et l’on sait la suite, plongés tous les deux, dans le tourbillon effroyable de la barbarie nazie.

DES PARENTS
Alors, mes parents vont s’appliquer à vivre, là, dans ce quartier très populaire. Mon père surtout, déraciné de sa terre natale, de son Alsace chérie. Après la guerre, des tickets de rationnement circulent encore quelques années et mes parents les utilisent.
Mon père trouve une place au haut-fourneau du Gaz de France, en plein essor. Et, à la sortie de sa journée harassante, il en recommence une autre. Il devient charbonnier et il livre des sacs de charbon qu’il porte sur son dos, chez des particuliers, au rez-de-chaussée, mais aussi, très souvent, dans les étages. Ce qui le change du bon air de la scierie alsacienne.
Après douze années de ce régime, il finit par attraper la silicose et il est reclassé jardinier à l’Ecole des Métiers de G.D.F. à Lyon, la Mouche, dans le quartier de Gerland. Il renaît à entretenir les jardins. Il tond la pelouse et greffe des roses.       
Dans le grand terrain attenant à notre logement, mon père exploite un immense potager. Cela lui permet de nourrir sa famille qui augmente au fil des ans par les naissances rapprochées de mes  frères et sœurs.
Après moi, ma mère accouche de Jean-Claude puis, chaque année, au sein de leur foyer vient une nouvelle bouche à nourrir. Nous sommes six enfants, trois filles et trois garçons. Nous dormons, tête-bêche couchés par deux, dans des lits disposés autour de celui des parents. Moi, je sommeille, près du poêle, dans la cuisine. Mes frères Jean-Claude et Jean-Paul, mes sœurs Jocelyne et Marie-Claude sont blonds comme les blés, presque blancs tels des Norvégiens, avec des yeux très bleus. Moi et Christian sommes les seuls à naître bruns comme ma mère, mais je possède les yeux verts de mon grand-père « Seppi ». J’hérite du visage de mon père et du sourire de ma mère.
Je vais à l’école Place Général André. A cinq ans, je lis le journal couramment. Mon père dans ses moments de loisirs m’apprend à esquisser des sapins de Noël et des paysages de neige de son Alsace mais aussi des palmiers et des déserts, souvenirs de ‘sa’ guerre.
J’adore dessiner et je l’aime tant ce père magnifique, travailleur inlassable, qui, pour adoucir les tourments de ma mère et malgré ses longues journées de labeur, lave, étend et repasse le linge, prépare les repas, fait le marché et le jardin, les samedis et les dimanches. Ma mère raccommode, nous tricote des vêtements, nous aide à faire nos devoirs. Nous sommes toujours bien nourris et tenus impeccablement.
J’aime l’école particulièrement. Ce qui me passionne, c’est l’apprentissage de l’écriture, les mots de la langue française et la grammaire.

J’aime jouer avec le sens, la consonance et l’essence des mots, jongler avec le vocabulaire, j’aime écrire et lire... passionnément…

Par Dana Lang
Extrait de Les sanglots du vent, éditions La fontaine aux fées, septembre 2011.


6 commentaires:

  1. un talent fou, un grand art et surtout, un naturel qui nous met à la place de la narratrice.

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    1. Alors là, Monique tu me mets le rouge aux joues !
      Dana

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  2. Dana,vos Souvenirs Lyonnais sont poignants. Ils nous remémorent notre enfance, celle de l’après-guerre qui n’était pas vraiment glorieuse et qui a fait verser tant de larmes. Quand aux rutabagas que ma mère me forçait à manger coûte que coûte, j’en ai gardé un souvenir impérissable. « Beurk » et le seul mot qui me vienne à l’esprit ! Dire que ce légume revient à la mode, je préfère en rire ! Cymone

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  3. Dana Lang, signes de feu. Bélier et lionne, ce n'est pas une petite flamme qui vacille dans son âme. C'est un feu bienfaisant, qui propage la lumière et l'amour. A la lecture des "Sanglots du vent", j'ai vécu le parcours de Dana. Qu'elle marche, ou qu'elle tombe, ou qu'elle soit en fauteuil roulant, Dana AVANCE et elle fait avancer. Sa vie douloureuse ne l'empêche pas de donner sa force aux autres, elle se bat contre une sorcière (qu'on peut appeler le malheur dans la vie) mais douze fées l'escortent. Oh non. Il y a treize fées, et la plus belle, c'est Dana. Elle lutte contre toutes les injustices, les mauvais traitements, les tracasseries administratives. Elle lutte contre la marée noire après le désastre de l'Erika, elle soigne les oiseaux englués comme elle soigne les êtres humains englués dans la crasse du sort. Et elle fonce, elle conte, elle sourit, elle se bat au nom de l'Amour universel. Quel parcours, quel exemple !

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    1. Merci Monique,
      C'est vraiment trop d'honneurs !... mais, en fait tu partages l'avis unanime de tous mes lecteurs(trices) qui m'écrivent : "Ce livre, il fallait l'écrire", "Il faut le lire absolument" et "Il faut en faire un film"... je rencontre beaucoup de personnes bouleversées et émues par cette histoire, même un an après, elles viennent me retrouver sur le Salon du Livre, là où elles l'ont acheté. Mais, pour moi, il se veut surtout un témoignage de ma vie certes, ô combien remplie, mais aussi un témoignage contre les violences faites aux femmes et ce dans le plus grand silence. Je l'ai dédié principalement aux femmes et je souhaite que toutes les femmes le lisent, qu'elles ne passent pas à côté de mon histoire. Les hommes n'ont plus d'ailleurs qui en sont aussi particulièrement touchés... voilà, je suis heureuse de l'avoir fait, heureuse de ce qu'il m'apporte en retour et je lui souhaite une très longue vie dans le coeur de tous ceux qui l'auront lu, dans le tien aussi, ma douce amie.

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  4. Merci Cymone,
    C'est vrai, c'était dur après guerre, mais il y avait dans l'air un je ne sais quoi de parfum de bonheur. Chacun se réapprenait à vivre. C'était des cours des miracles un peu partout dans Lyon et il y avait un pays, des gens à reconstruire. Mes parents, hélas, étaient de ceux là, victimes des nazis ! Mon père pour avoir été condamné à mort par ce régime barbare, devenu Patriote Réfractaire à l'Annexion de Fait, ma mère pour avoir été violée par trois soldats nazis... mais, je vous invite vraiment à lire mon livre... enfin, Lyon avait des allures de plein de petits villages accolés les uns aux autres, ses quartiers populaires grouillaient de vie...

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